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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/426

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pas à se repentir de leur franchise ? Quand un pouvoir se réserve, sous le nom de « haute police, » une autorité vraiment dictatoriale, les libertés qu’on vante le plus ne sont que de vains mots. Or le lord-commissaire, qui ne fait qu’un avec le sénat, ne peut-il pas bannir et emprisonner tous ceux qui lui paraissent menacer l’ordre établi ?

Les Ioniens n’ont pas seulement à se plaindre de l’organisation du gouvernement des Sept-Îles. À ces vices d’organisation, disent-ils, se joint un regrettable défaut de sollicitude pour tout ce qui regarde les intérêts matériels et moraux du pays. Ils se plaignent de l’absence de toute industrie, ils affirment que l’agriculture manque d’encouragemens et d’essor, que la marine de Zante, autrefois florissante, est en pleine décadence, que les établissemens d’instruction publique, après avoir eu, au temps du comte de Guilford, une ère de prospérité, laissent aujourd’hui infiniment à désirer. M. le comte Luntzi, qui a étudié avec tant de zèle et d’intelligence tous les sujets qui peuvent contribuer à la prospérité de sa patrie, a traité cette question dans un ouvrage spécial : Περὶ τῆς ἐν Ἑπτανήσῳ διοργανώσεως τῆς δημοσίας παιδεύσεως. Le savant gentilhomme est de l’avis des Anglais : Knowledge is power (l’instruction, c’est la force). Il a signalé avec une rare sagacité les imperfections et les lacunes du système en vigueur, système qui ne tient pas assez compte de l’enseignement secondaire ni même élémentaire, oubliant qu’une université n’est florissante que lorsque les jeunes gens abordent les fortes études avec une certaine préparation. Il est à souhaiter que les Ioniens se préoccupent ainsi de plus en plus des sérieux intérêts de leur pays, au lieu de s’absorber dans des discussions stériles, dans des polémiques personnelles. Rien ne discrédite une nation comme ces déplorables polémiques : au dehors, on ne croit guère au bien que les partis disent d’eux-mêmes, et on accueille volontiers les accusations qu’ils se jettent les uns aux autres. Pour nous, qui croyons que la race hellénique porte en elle un germe puissant de renaissance et de progrès, nous applaudirons cordialement à tout ce qui contribuera au bonheur et à la gloire d’un peuple éprouvé par de si longues misères. Dans les desseins de la Providence, la souffrance n’est pas moins utile aux nations qu’aux individus. Elle seule leur apprend à s’étudier avec une attention persévérante, à chercher la cause de leurs défaillances et de leurs maux, à profiter des sévères leçons de l’expérience.

Ctesse Dora d’Istria.