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temps, ajoute à son livre des Illustrations de Gaule un poème en l’honneur de Pierre de Bourbon, dans lequel chacune des sept provinces placées sous la suzeraineté de ce prince vient déplorer sa mort sous la figure d’un berger ou d’une bergère, et chacun des acteurs est tour à tour annoncé par le poète en deux vers avec sa double physionomie :

Tytire en pastorales lois
Se prend ici pour Beaujolois ;
Galathée bergiere belle
Cy endroit Auvergne s’appelle.
Amyntas de Paris voisin
Se dit Clermont en Beauvoisin.

On vient de publier les œuvres d’un poète forésien, Loys Papon, qui fut le contemporain et l’ami de jeunesse de d’Urfé ; son principal ouvrage est une grande pastorale en cinq actes et en vers, composée pour célébrer une victoire que le duc de Guise venait de remporter à Aulneau contre les reîtres alliés des huguenots, et nous apprenons que cette pastorale fut représentée à Montbrison par des amateurs le 27 février 1588, très probablement en présence, sinon avec le concours du futur auteur de lL’Astrée.

Il est donc incontestable que cette passion des bergeries artificielles, qui a régné si longtemps dans notre littérature, ne date pas de d’Urfé ; elle existait avant lui, il l’a reçue du XVIe siècle, il n’a fait que la développer, et ce n’est pas en cela que consiste son originalité, même dans le faux. Elle ne consiste pas davantage dans l’emploi du genre pastoral en une fiction romanesque. Il suffit de comparer l’Astrée à un roman pastoral espagnol, antérieur de plus de cinquante ans, à la Diane de George de Montemayor, dont le succès fut presque aussi grand dans toute l’Europe que celui de l’Arcadie, pour reconnaître que le plan de l’Astrée, avec des dimensions beaucoup plus considérables, est calqué sur celui de la Diane. Ce sont deux romans en prose, entremêlés de vers de tout genre et de toute mesure, élégies, sonnets, chansons, villanelles, sans compter les billets doux qui abondent. Un épisode principal, assez faible, s’y déroule à travers beaucoup d’autres épisodes accessoires, beaucoup de conversations et de discussions sentimentales, avec des formes de langage et des transitions de la prose aux vers qui sont presque les mêmes. Il y a cependant cette différence entre les deux ouvrages, que les vers gracieux et harmonieux de Montemayor sont encore aujourd’hui estimés des Espagnols, tandis que les vers de d’Urfé constituent la partie faible de son roman. Ils sont rarement bons et souvent détestables ; mais d’Urfé, égal dans la prose à Montemayor, l’emporte sur lui par la variété des idées, des situations, des caractères.