de Balzac. Cette période de notre grand siècle littéraire, qui n’est pas la plus connue, n’est pas la moins digne d’attention, car c’est pendant ces vingt-cinq ans que se prépare insensiblement la dernière révolution de la langue française, la dernière transformation qu’elle doit subir pour atteindre à ce degré de netteté, de précision, d’enchaînement, de régularité et de variété, qui marque l’achèvement d’une langue : quand ils sont parvenus à ce point de maturité, les idiomes peuvent encore se modifier, s’enrichir ou s’altérer plus ou moins ; mais ils ne se transforment plus, et l’on ne voit plus ce que l’on voyait chez nous avant le XVIIe siècle, ce désordre anarchique, cette incessante mobilité dans les tours et dans les mots, qui, en laissant chaque écrivain maître absolu de ses constructions et de son vocabulaire, faisaient du langage de chaque génération un langage suranné pour la génération suivante[1].
Ce n’est pas, il est vrai, durant le premier quart du XVIIe siècle que cette dernière révolution du langage produit de grands monumens littéraires. Il faut que la prose française subisse encore une assez longue élaboration avant de se manifester en 1656 dans toute sa beauté, sous la plume de l’auteur des Provinciales. Toutefois, si, écartant la question de génie et de goût, on compare la prose de Pascal à la prose de Balzac sous le rapport pur et simple de la construction, on reconnaît sans peine que sous ce rapport les deux langages sont presque identiques, et que par conséquent dès 1625 notre idiome, en tant qu’instrument de la pensée, avait déjà reçu ses principaux perfectionnemens, et n’attendait plus que la main des grands virtuoses.
Ce mouvement littéraire des vingt-cinq premières années du XVIIe siècle présente deux phénomènes intéressans : d’un côté, on rencontre un certain nombre de prosateurs qui, dans des genres différens et avec des nuances diverses, travaillent tous en quelque sorte instinctivement à corriger, à régulariser, à couper, à éclaircir la phraséologie désordonnée et confuse du siècle précédent, à dénouer
- ↑ Cette anarchie du langage au XVIe siècle est très vivement et très naïvement constatée par un laborieux traducteur de l’époque, Blaise de Vigenère, qui, dans ses annotations sur les Commentaires de César, a écrit en 1576 le passage suivant : « Il y a tant d’écrivains aujourd’hui qui s’accablent les uns les autres, qu’on ne peut guère bien discerner les bons des mauvais, qui les éteignent et suffoquent, à guise des méchantes herbes qui surcroissent parmi les utiles et salutaires, et les surmontent et étouffent : quand chacun, sans aucun choix ni jugement, sans rien élabourer, ne sarcler, se transporte le nez au vent, selon que sa fantaisie le pousse. Car n’y ayant point de grammaires ni de règles établies jusqu’à aujourd’hui, cela s’en va indistinctement, et varie tout de même que la main d’un jeune garçon auquel, si dès lors qu’on veut lui apprendre à écrire, on abandonnait en pleine liberté son papier, sans le régler pour le faire aller droit, tout s’en irait à vauderoute, liant et bas, tortu, bossu, sans aucune proportion. »