la langue, comme disait l’un d’entre eux, le président Du Vair ; d’un autre côté, on voit des écrivains qui persistent dans l’ancien style, de telle sorte que des ouvrages composés et publiés à la même époque semblent déjà séparés par un demi-siècle d’intervalle.
Pour donner une idée de ce contraste, il suffit de comparer la première page du premier volume de l’Astrée, publié en 1609, avec la première page d’un livre publié en 1,613 par un de ces écrivains retardataires qui persistaient à ronsardiser en prose longtemps après que Malherbe avait cessé de ronsardiser en vers. J’emprunte ce passage à la préface d’un recueil de sermons écrits par un des plus mauvais, mais des plus populaires prédicateurs du temps, l’abbé Valladier. Il n’est peut-être pas inutile de prévenir d’avance le lecteur que l’abbé Valladier veut apprendre au public qu’il a beaucoup d’ennemis, et qu’il a triomphé de leur malveillance avec l’appui du chancelier de Sillery, auquel il témoigne sa gratitude en ces termes :
« Les matelots gaillardement assaillis de la tormente, affranchis enfin de la trouble marine, cinglans à vogue-rancade au havre désiré, font retentir la coste à l’écho d’un joyeux thalassion, saluent le port au cri de leurs acclamations marinières, font jouer le canon, accollent le sol natal, baisent la terre ferme, et rédimés de la tyrannie flottante du superbe élément, salutairement animés à la gratitude, portent leurs premières pensées à rendre leurs vœux au saint tutélaire de leur heureux abord. Tous les vents des sinistres inventions, les brisans et escueils des horribles trahisons, les vasgues et les flots des passions desréglées, les pirates mesmes et escumeurs des cupidités avidement cruelles, jusqu’aux tritons, petits dieux de ces confusions marinières, monstres marins redoutables pieça complotés et mutinés, ont assiégé et tenté de toutes parts, du nord et du sud, la petite frégate de ma médiocre fortune, pour luy faire perdre la tramontane, si leur pouvoir eût secondé leur vouloir, l’ont poussée plus de deux ans entiers en haute mer à la mercy du ciel et des ondes agitées de toutes parts, hormis d’elle-mesme, et portée à deux doigts du naufrage, phantasié sous l’espais de leur menée songe-creuse[1]. »
Rapprochons de ce langage ampoulé, incorrect et obscur, le début si net et si gracieux par lequel d’Urfé nous introduit dans le Forez.
« Auprès de l’ancienne ville de Lyon, du côté du soleil couchant, il y a un pays nommé Forests, qui en sa petitesse contient ce qui est de plus rare au reste des Gaules, car étant divisé en plaines et en montagnes, les unes et les autres sont si fertiles, et situées en un air si tempéré, que la terre y est capable de tout ce que peut désirer le laboureur. Au cœur du pays est le
- ↑ Les Divins Parallèles, ou Sermons de l’octave de la Sainte-Eucharistie, par André Valladier.