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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/468

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plus beau de la plaine, ceinte, comme d’une forte muraille, des monts assez voisins, et arrousée du fleuve de Loire, qui, prenant sa source assez près de là, passe presque par le milieu, non point encore trop enflé ni orgueilleux, mais doux et paisible. Plusieurs autres ruisseaux en divers lieux la vont baignant de leurs claires ondes ; mais l’un des plus beaux est Lignon, qui, vagabond en son cours aussi bien que douteux en sa source, va serpentant par cette plaine, depuis les hautes montagnes de Cervières et de Chalmasel jusques à Feurs, où Loire, le recevant et lui faisant perdre son nom propre, remporte pour tribut à l’Océan[1]. »


Que si, après avoir constaté cette discordance de deux styles contemporains, on veut maintenant mesurer la distance qui, sous le même point de vue du style, sépare d’Urfé du romancier le plus célèbre du XVIe siècle, de ce d’Herberay, traducteur et arrangeur de l’Amadis, que Pasquier nous présente comme un des bons écrivains de son temps, il nous suffira de citer encore de d’Urfé quelques lignes, et de les comparer à la première phrase de la préface de l’Amadis. Le lecteur trouvera cette phrase un peu longue ; ce n’est pourtant qu’une phrase, La voici :


« Les historiens très renommés, dit d’Herberay, qui ont écrit et embelli les histoires et faits chevalereux de ceux qu’ils ont voulu favoriser et rendre immortels par la facilité de leur bien disante plume, considérant qu’encore qu’ils eussent assez matière et sujet pour les haut louer, néanmoins les ont voulu faire estimer tant excellens ès choses èsquelles ils étaient appelés, qu’avec aucune vérité sur laquelle ils ont pris leur fondement y ont ajouté et approprié plusieurs choses non avenues si proprement et par tant vraie similitude, que l’on s’est aisément consenti à les croire, tellement qu’aujourd’hui ils nous représentent en grande admiration devant les yeux la force supernaturelle de maints personnages. »


À cette période enchevêtrée opposons l’invocation au Lignon, par laquelle s’ouvre le troisième volume de l’Astrée.


« Belle et agréable rivière de Lignon, sur les bords de laquelle j’ai passé si heureusement mon enfance et la plus tendre partie de ma première jeunesse, quelque paiement que ma plume ait pu te faire, j’avoue que je te suis encore grandement redevable pour tant de contentemens que j’ai reçus le long de ton rivage, à l’ombre de tes arbres feuillus et à la fraîcheur de tes belles eaux, quand l’innocence de mon âge me laissait jouir de moi-même, et me permettait de goûter en repos les félicités que le ciel d’une main libérale répandait sur ce bienheureux pays, que tu arroses de tes claires et vives ondes. »


Cette période, un peu traînante encore, n’offre-t-elle pas déjà pourtant un caractère particulier d’élégance facile, lucide, harmonieuse ?

  1. Astrée, t. Ier, p. 1re.