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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/575

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anciennes, le travail des esclaves entretenait presque sans frais la classe libre, qui pouvait dès lors vivre sans préoccupation ; dans les sociétés modernes, tout se paie fort cher et tend à se payer plus cher encore. Cette tendance, qui n’est alarmante que pour les gens qui ne veulent rien faire, et dont par suite personne n’osera se plaindre, élargira forcément le domaine du travail. On regarde à tort le peuple italien comme incapable de satisfaire à ces exigences nouvelles. On nous le montre intelligent, mais oisif, adorant par-dessus tout le soleil et le repos, peu préoccupé des moyens de vivre et souvent misérable ; cette opinion est inexacte en plus d’un point. C’est qu’à l’idée d’Italien jaillit immédiatement à l’esprit le mot de lazzarone, cette création de roman à laquelle il ne faut pas croire. Parcourez les rues de Naples : à part une nuée de mendians insupportables, vous voyez partout une population ouvrière active et laborieuse ; dans le port, ce sont des portefaix lestes et vigoureux ; dans les boutiques, des serruriers, des menuisiers, des fabricans de pâte pétrissant la farine, le corps demi-nu et ruisselant de sueur. Aux portes des maisons, des femmes font des broderies ou des tissus. Vous rencontrez, il est vrai sur la plage, des pêcheurs qui dorment dans leur bateau, abrités sous leur voile ; mais ils ont toute la nuit travaillé du travail dur et périlleux de la pêche. Si, après de vaines recherches, vous profilez de la rencontre d’un frère quêteur qui vous aborde le sourire sur les lèvres, la tabatière d’une main, l’escarcelle de l’autre, pour lui demander de vous montrer un lazzarone, le frère prendra cette simple question pour une personnalité offensante, une raillerie de mauvais ton, et vous tournera les talons, emportant votre aumône.

Les ouvriers italiens sont, relativement à leur climat et à leurs besoins, fort actifs et peu disposés à perdre leur temps, malgré le nombre incommensurable de fêtes chômées. Que de fois, à travers les volets fermés de la boutique, j’ai entendu le bruit de l’outil se cachant pour travailler ! que de fois j’ai vu les jardiniers arroser subrepticement leurs laitues et leurs tomates en dépit de quelque saint du voisinage ! Ces fêtes incessantes, aussi funestes à la prospérité qu’à la moralité des populations, sont l’abus d’une institution sacrée, celle du dimanche. Un jour de repos par semaine est indispensable pour la santé et pour l’instruction des classes ouvrières ; il est la première condition de la dignité de ces classes qui demandent leur pain au travail de leurs bras.

Tout en reconnaissant que les populations ouvrières italiennes sont plus actives qu’on ne se l’imagine, il ne faut pas étendre cet éloge aux Romains. Ce n’est pas impunément qu’une population a été durant des siècles nourrie et amusée gratis, entretenue par les