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dépouilles opimes des pays conquis. La dignité, l’énergie se conservent mal sous un pareil régime. Les temps, mais non les habitans, sont bien changés depuis l’époque des césars, et si le citoyen de l’une des sept collines n’est pas devenu un plus ardent travailleur, il a du moins conservé quelque chose de la fierté des anciens maîtres du monde. Contemplant avec résignation les ravages exercés par le temps et les hommes sur ses monumens, il semble oublier les ravages non moins cruels que la longueur du jour fait subir à son estomac. Dans les campagnes, les cultivateurs ne sont pas non plus très actifs; pâtres pour la plupart, ils ont fort peu le goût des travaux de la terre, dont les plus rudes sont exécutés par des ouvriers émigrans venus de la montagne.

Sur tout le littoral, vers lequel du reste la population se porte en masse, les hommes travaillent à la mer : ils sont pêcheurs, chercheurs de corail, matelots caboteurs ou marins au service des autres pays; ils partent en laissant les soins de la terre à leurs femmes, qui s’en acquittent bravement. Ce sont elles qui piochent, labourent, sèment le grain, le récoltent et le battent; d’autres extraient la pierre des carrières, font des terrassemens de chemins de fer : elles opèrent ces transports de terre ou de pierre dans de petites corbeilles qu’elles portent sur la tête. Aussi ces femmes sont-elles maigres, nerveuses et brûlées par le soleil. Leur existence laborieuse est semblable en plus d’un point à celle des femmes arabes.

Il y aurait une intéressante comparaison à faire entre les salaires agricoles en France et en Italie; mais dans ce dernier pays les exploitations sont généralement réduites au labeur d’une famille, et lorsque les bras du mari et de la femme, aidés des enfans, ne peuvent pas suffire à la terre, la terre se passe de travail. Ajoutez à cela que les grands propriétaires font rarement exécuter des travaux d’amélioration, et vous comprendrez que les ouvriers salariés doivent être peu nombreux. Cependant il existe périodiquement des émigrations de montagnards des Abruzzes, qui se rendent dans la plaine du Tibre, où on les emploie comme faucheurs et moissonneurs. Ces émigrans habitent durant l’été les huttes de chaume qui entourent la plupart des petites villes des États-Romains. Ils descendent de la montagne sous la conduite d’un embaucheur, qu’ils appellent leur caporal. Le caporal prélève, bien entendu, sur le prix de leur travail une vraie part de sergent. Il joint du reste à ses fonctions de chef celles de musicien : c’est au son de la cornemuse que l’herbe se couche et que l’épi tombe sous la faux. Nos faucheurs dilettanti reçoivent, outre la musique, 2 paoli par jour, soit 1 fr. 20 c. environ. Durant les quatre ou cinq mois de grands travaux, ils se nourrissent presque exclusivement de pain de froment de bonne