Le détail des premières journées du siège fait comprendre cette apparente indifférence. Les insurgés dirigés dans leurs opérations par des militaires expérimentés[1], avaient mis en position un certain nombre de pièces fort habilement servies. Leurs boulets atteignaient tous les points de l’enclos fortifié. Une belle jeune fille, miss Palmer[2], avait été atteinte, comme sir Henry Lawrence, dans la résidence même. Des malades étaient tués dans leur lit d’hôpital. Perçant les murailles derrière lesquelles on se croyait abrité, maint boulet arrivait tantôt sur le bureau d’un employé civil (M. Ommaney), tantôt sur la table où quelques officiers prenaient leur repas. On évalue à dix mille le nombre des tirailleurs embusqués dans les maisons voisines de la résidence, et qui, sans presque se donner de relâche, y envoyaient leurs balles dans toutes les directions. À ce métier continuel, leurs munitions parurent d’abord s’épuiser, et on tua plusieurs d’entre eux qui se hasardaient hors de leurs abris pour ramasser les balles qu’on leur avait envoyées en leur ripostant. Également à court de boulets et d’obus, ils y suppléaient en chargeant leurs canons avec des rondins de bois, des morceaux de fer, des monnaies de cuivre et même des cornes de bœuf taillées en mitraille ; mais peu après ils furent ravitaillés, et leur éternelle canonnade ne manqua plus d’alimens.
D’autres dangers non moins redoutables naissaient du désordre qui régnait encore, dans ces premières journées, au sein de la garnison elle-même Les liens de la discipline s’étaient relâchés tout naturellement dans ses rangs, où une sévérité inopportune pouvait faire germer l’idée de la désertion. Les maisons particulières, occupées, comme elles l’étaient presque toutes, par des garnisons mixtes, furent peu à peu mises au pillage. Il n’était guère de cave si bien fermée dont on ne s’ouvrît l’accès, et il arriva fréquemment que des postes entiers, abrutis par l’abus des liqueurs fortes (le claret et les autres vins de France n’étant pas du goût des Sikhs), restèrent à la discrétion de l’ennemi. Ceci toutefois ne fut qu’un inconvénient passager, et de l’excès même du désordre naquit la sécurité. Les caves une fois vides, l’ivrognerie se trouva naturellement réprimée.
En attendant, il est vrai, peu s’en fallut que la garnison ne pérît
- ↑ M. Rees désigne en quelque sorte nominativement un militaire anglais soupçonné de s’être vendu aux rebelles. Il parle aussi, mais en termes moins précis, d’agens russes qui, après avoir fomenté la révolte dans les rangs des cipayes, auraient pris part aux opérations du siège.
- ↑ Fille du colonel du 48e indigène. Elle était fiancée depuis trois mois à un des officiers de la garnison.