Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/815

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

baisse générale dans le prix de toutes les denrées; mais la nation ne vit dans cette mesure qu’un triste souvenir des premiers temps de la régence, et se crut condamnée à rentrer dans le cercle fatal où tant de désastres avaient succédé à tant d’illusions. Le seul effet de l’abaissement du taux des monnaies et de l’intérêt ayant été d’arrêter subitement toutes les transactions, ainsi qu’il était arrivé huit années auparavant, l’état ruiné se trouva contraint de s’assurer des ressources à tout prix. Faute d’un crédit englouti pour longtemps dans le naufrage du système, il fallut bien substituer aux théories nouvelles la plus cruelle application des vieilles traditions fiscales. De nombreux édits furent donc enregistrés d’autorité royale, en présence du parlement muet, mais menaçant. A l’impôt du cinquantième, perçu en nature sur tous les biens meubles et immeubles, vinrent se joindre celui du joyeux avènement et de la ceinture de la reine, vieilles inventions du génie fiscal, dont la dénomination contrastait avec les larmes qu’elles faisaient couler. Ainsi l’on était devenu le plus réactionnaire des pouvoirs pour en avoir été le plus novateur.

Les finances n’absorbaient pas d’ailleurs l’inquiète activité de Mme de Prie et de son aventureux conseiller. En deux ans, le ministère de M. Le duc avait remué toutes les questions sans parvenir à en résoudre aucune, et promulgué plus d’édits qu’il ne s’en rendit durant les dix-huit années de l’administration du cardinal de Fleury. Si en matière de législation criminelle et coloniale il était injuste de ne pas noter quelques belles ordonnances, toutes les tentatives de cette époque dans l’administration proprement dite furent frappées au coin de l’audace et de la stérilité. Effrayé du nombre et de la menaçante attitude des mendians, le gouvernement entreprenait-il de les séquestrer par la force[1] : la pénurie du trésor rendait impossible l’organisation des secours solennellement annoncée, et la mesure devenait à la fois atroce et inefficace. Pour mettre son orthodoxie à couvert, le ministère de Mme de Prie imaginait-il de faire revivre contre les protestans inoffensifs et résignés tous les édits qu’aux derniers temps de son règne Louis XIV avait laissé tomber en désuétude[2] : les mœurs résistaient aux lois, et la plupart des magistrats aimaient mieux se montrer inconséquens que cruels.

Cependant, au sein de l’agitation générale suscitée par des projets qui n’étaient point les siens, quoiqu’il en subît les périlleuses conséquences, M. Le duc était préoccupé d’une seule pensée, celle de se perpétuer dans un pouvoir qu’il déléguait sans en user. Rien

  1. Déclaration de Chantilly du 18 juillet 1724.
  2. Déclaration du 14 mai 1724.