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Sénégal aux cataractes de Félou, sur une longue ligne de deux cent cinquante lieues, le drapeau de la France est honoré, aimé et respecté. Il est confié à des officiers d’élite, à des soldats d’une bravoure éprouvée. À cette glorieuse, mais pénible tâche suffisent cinq compagnies d’infanterie de marine montant une flottille de cinq ou six petits bâtimens, et appuyées d’un escadron de spahis français et indigènes, d’une section d’auxiliaires noirs, et en outre d’un bataillon nouvellement créé de tirailleurs sénégalais, en tout un millier de combattans, si l’on compte quelques troupes d’artillerie et de génie. Tous les postes sont fournis de vivres, d’armes, de munitions, et prêts à tout événement. On peut dire avec confiance que le principal fleuve du futur empire de la Sénégambie est à notre absolue disposition, que la première province est soumise, qu’elle se féconde dans un contact quotidien avec les germes de civilisation déposés au berceau primitif de la colonie, à Saint-Louis. Il reste à développer autour de cet embryon le réseau de muscles et de nerfs, d’os et de chair, qui constituent les membres d’un corps social. Les blockhaus et les forts qui s’élèvent sur la frontière du Cayor, la route tracée de Podor vers le camp de Koundi et le lac de Cayar, un fort projeté, mais non encore construit, sur les rives de ce lac, un autre à Saldé, entre Matam et Podor, les chemins qui sillonnent déjà les environs de Bakel, les travaux de reconnaissance et de draguage exécutés dans les deux fleuves, sans compter nos forteresses et nos alliances, sont autant de jalons qui indiquent les prochains rayonnemens de notre politique, et marquent en quelque sorte le dessin rudimentaire de ce travail organogénique d’une nation dans son enfance.

Le gouvernement français a cependant proclamé qu’il ne poursuivait pas de conquêtes au Sénégal, et nous ne pensons pas qu’il y ait à revenir sur cette déclaration, sans nul doute sincère. L’habileté suprême consiste au Sénégal, comme dans toutes les colonies, à vivre en paix avec les indigènes, et sauf quelques combats inévitables, simples incidens passagers, la permanence de la guerre accuserait, ou l’erreur des systèmes, ou l’ambition des hommes. Il est pour soumettre les races inférieures des aimes plus puissantes que les canons et les fusils : ce sont les bienfaits. Entourée d’un tel prestige, la civilisation attire et élève à elle sans peine les sociétés barbares. Instinctivement le noir aime et respecte le blanc, comme le faible invoque le fort, comme l’ignorant s’incline aux pieds du savant. Dans l’esprit de ces peuples, nous représentons la puissance et la science : joignons-y la bonté, cet aimant souverain des cœurs. Tout déchus qu’ils sont, les noirs apprécient l’agriculture, l’industrie, la paix, le commerce ; un jour ou l’autre, leurs intérêts les conduiront vers nous. Il suffit de préparer et d’attendre ce jour. Les inextricables discordes qui sont leur triste apanage