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Cependant elle descendit, mais pour quelques minutes,le front ceint d’un mouchoir, pâle, tremblante, et les yeux presque entièrement fermés. Elle sourit un peu et me dit : — Cela passera, ce n’est rien. Tout passe, n’est-ce pas ? — Et elle sortit. Je me sentis pris d’ennui, dominé par une sensation de tristesse et de vide, et pourtant je ne pouvais me décider à partir. Je rentrai tard à la maison, sans l’avoir revue.

Je passai toute la matinée du lendemain dans une sorte de somnolence morale ; j’essayai de me mettre à travailler, impossibles. Je n’avais de goût pour rien, je ne voulais même pas penser ; mais je n’y réussis pas mieux… J’errais dans la ville, je rentrais à la maison pour ressortir quelques instans après.

— N’êtes-vous pas M. N… ? dit tout à coup la voix d’un enfant.

Je me retournai ; un petit garçon m’aborda. — Voici, me dit-il, de la part de Fräulein Anouchka. — Et il me remit une lettre.

Je l’ouvris et reconnus son écriture rapide et incorrecte. « Il faut absolument que je vous voie, me disait-elle. Trouvez-vous aujourd’hui, à quatre heures, dans la chapelle de la prison, sur la route qui conduit aux ruines… J’ai fait aujourd’hui une grande imprudence… Venez, au nom du ciel ! vous saurez tout : .. Dites au porteur : Oui. »

— Y a-t-il une réponse ? me demanda le petit garçon.

— Dis oui à la Fräulein, lui répondis-je, et il s’éloigna en courant.


XIII

Je rentrai dans ma chambre, et, m’asseyant, je me mis à réfléchir. Mon cœur battait avec force. Je relus plusieurs fois la lettre d’Abouchka. Je regardai à ma montre ; il n’était même : pas midi.

La porte s’ouvrit, et Gagine entra. Je lui trouvai l’air sombre. Il me prit la main et la serra avec force ; il paraissait très agité.

— Qu’avez-vous ? lui demandais-je.

Gagine prit une chaise et s’assit à côté de moi.

— Il y a trois jours, me dit-il avec un sourire contrait et d’une voix peu assurée, je vous ai raconté des choses qui vous ont surpris ; aujourd’hui je vais vous étonner encore plus. Je ne me serais probablement pas décidé à… m’ouvrir ainsi… à un autre… Mais vous êtes un homme d’honneur ; vous êtes un ami pour moi, n’est-ce pas ? Écoutez-moi donc : Anouchka, ma sœur, vous aime.

Je tressaillis et me levai subitement.

— Votre sœur, me dites-vous ?…

— Oui, oui, reprit aussitôt Gagine. Je vous le répète, c’est une