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poste où flotte le drapeau français, est à moins de deux cents lieues de Tombouctou, et des pays cultivés remplacent sur le trajet les déserts de sable ; mais peut-être les populations intermédiaires sont-elles moins accessibles que les Touaregs à des alliances d’amitié et d’intérêt.

Aborder Tombouctou et de cette ville se répandre dans l’Afrique centrale avec des sentimens et des paroles de paix, tel serait le couronnement de notre mission civilisatrice au Sénégal. Ainsi le comprend bien M. Faidherbe. Ainsi, se trouveraient réunis dans cette colonie du Sénégal si longtemps méconnue tout ce qui appelle la popularité : richesses de toute nature, alimens d’échanges illimités, un territoire déjà fort vaste et se prêtant à une extension indéfinie, un sol fertile et presque vierge de culture, des populations soumises, les unes par de sincères sympathies, les autres par la crainte des armes, à une autorité que plusieurs siècles de domination à peine interrompue ont solidement enracinée. La distance de la métropole est assez faible pour que les relations soient faciles, assez grande pour favoriser la navigation au long cours. Dans un autre ordre de considérations, le Sénégal déroule sous nos yeux le tableau d’une société naissant et se constituant au sein du monde moderne, comme ses aînées durent se former, en Europe et en Asie dans les âges primitifs, d’après des lois de développement analogues à celles de tous les êtres organisés. Au début, simple germe semé sur les rives étrangères par le commerce ou la religion, elle grandit de jour en jour sous la fermentation de l’esprit de vie qui l’anime, rayonnant en tous sens, absorbant par l’attraction ou par la lutte les molécules ambiantes, s’élevant ainsi progressivement, de l’individu à la famille, à la commune, à l’état. Dans sa croissance rapide, cette jeune société entraîne, les sauvages et les barbares vers la civilisation, les idolâtres vers l’islamisme ou le christianisme, insinue aux musulmans eux-mêmes les mœurs douces, nous n’osons dire les vertus, des peuples chrétiens et policés. Par un triomphe suprême de cette politique tolérante et bienfaisante, à côté des Maures contenus par les rudes leçons de la guerre, les noirs de toute nuance, de toute origine et de tout culte, affranchis de l’esclavage domestique ou de l’oppression étrangère, déploient librement leurs joies naïves à l’ombre du drapeau français, qu’ils salueront un jour avec amour jusque dans les profondeurs du Soudan, s’il ne fait pas défaut à ses destinées. L’on chercherait en vain, dans le domaine colonial de la France, une province dont l’avenir s’ouvre à de plus brillantes prophéties. L’Algérie seule et peut-être la Guyane peuvent lui être comparées comme de dignes rivales.


JULES DUVAL.