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Tout cela se tient et s’enchaîne. Le jour où la France cessera de s’alimenter de préférence en produits coloniaux, ce jour-là le régime que l’on propose sera nécessairement appliqué dans ses possessions. Jusqu’à ce moment il n’y faut pas songer ; ce que l’on demande est simplement impossible, et, dans l’intérêt même du principe de la liberté commerciale, il vaut mieux ne pas engager prématurément, sur un point de détail, une lutte dans laquelle on aboutirait à une défaite certaine.

Ce n’est pas tout. A supposer que l’on réussisse, contrairement à tous les exemples jusqu’ici connus, à concilier le libre échange colonial avec la protection métropolitaine, il convient d’examiner si l’Algérie aurait sérieusement intérêt à jouir de la liberté absolue pour ses échanges. Nous venons de dire que nos possessions des tropiques ne se soucieraient probablement pas d’accepter, avec toutes ses conséquences, le bienfait qui leur est offert. Pour l’Algérie, la question ne saurait être douteuse. N’oublions pas que, dans l’hypothèse que nous examinons, les produits de nos possessions africaines cesseraient d’être admis en France avec un traitement de faveur ; ils ne pénétreraient sur le marché métropolitain qu’aux conditions du tarif général, absolument comme s’ils venaient de l’étranger. À ce prix, les colons africains auraient toute latitude pour acheter leurs tissus, leurs fers, etc., aux fabriques étrangères. Eh bien ! il est probable que l’Algérie serait pour le moins très embarrassée de la liberté qu’on lui aurait ainsi octroyée. Où vendrait-elle ses produits ? Ce ne serait pas en France, car nos barrières de douane, hérissées de taxes et de prohibitions, se relèveraient contre elle. Serait-ce en Espagne, en Italie, en Autriche, en un mot dans les pays que baigne la Méditerranée ? Pas davantage, car dans tous ces pays elle se verrait, en sa qualité de possession française, traitée comme étrangère, et elle devrait acquitter des droits de douane. Il n’y aurait que le marché anglais qui lui offrirait un écoulement pour ses céréales, parce que l’Angleterre est toujours à court de grains ; mais la Grande-Bretagne, qui la solderait en tissus, en fers, en houilles, ne lui paierait ses blés qu’aux prix très variables de la concurrence établie dans ses entrepôts entre les blés de tous les pays du monde. Reconnaissons pourtant que, dans certaines années, les échanges de l’Algérie avec les îles britanniques pourraient devenir considérables. Cet avantage intermittent, très aléatoire, compenserait-il la perte du marché de la France, qui s’approvisionnerait ailleurs à meilleur compte en laines, en tabac, en huiles, etc. ? Personne n’oserait le soutenir, et l’on ne citerait pas en Algérie une chambre de commerce, ni une chambre d’agriculture, ni une autorité quelconque qui sollicite l’épreuve de ce régime. — L’Algérie, dit-on encore, deviendrait l’entrepôt de l’Afrique centrale ; par ses ports et par son territoire passerait le grand courant commercial qui s’établira entre l’Afrique et l’Europe. Et déjà l’on nous montre de loin les caravanes qui traversent les déserts et qui transportent dans toutes les directions, du nord au sud, de l’est à l’ouest, les plus riches cargaisons, y compris la civilisation,