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bitantes à la Turquie, qu’en même temps on ait été fâché de faire si peu pour les principautés, et qu’on l’ait laissé voir en plusieurs articles de la nouvelle constitution, personne n’en peut douter ; mais tout cela n’empêche pas que l’acte ait été fait par toute l’Europe, garanti par toute l’Europe ; tout cela n’empêche pas qu’il n’y ait dorénavant en Europe un nouvel état reconnu par l’Europe, les principautés unies du Danube. Voilà ce qui est nouveau et important. Le congrès, par son existence même, vaut mille fois plus pour les principautés que la constitution qu’il leur a donnée. L’œuvre a été ce qu’elle a pu : l’ouvrier est tout. Qui peut croire en effet que cet ouvrier abandonnera son œuvre aux mains qui voudraient la détruire ? Qui peut croire que l’Europe garante n’exercera pas sa surveillance sur les principautés, qu’elle ne prendra pas à cœur de maintenir l’indépendance relative qu’elle leur a donnée ? La majorité du congrès n’a pas pu faire pour les Roumains tout ce qu’elle voulait : elle défendra du moins ce qu’elle a fait, elle ne laissera pas enlever aux principautés le peu qu’elles ont obtenu ; elle veillera, elle a besoin de veiller. Que la majorité du congrès ne se le dissimule pas en effet : de même qu’en 1840, en rendant la Syrie à la Porte-Ottomane, l’Europe l’a rendue à l’anarchie, en 1858, en donnant à la Porte-Ottomane sur les principautés des droits qu’elle n’avait pas, elle a donné de grandes prises au désordre et à l’anarchie. Si le nouveau gouvernement des principautés ne va pas bien, si elles retombent dans les difficultés et dans les impossibilités d’existence qui font leur malheur depuis si longtemps, les uns s’en prendront aux défauts originels de la race roumaine, les autres à l’esprit révolutionnaire. Quant à moi, je sais d’avance qu’il faudra s’en prendre à la part d’ingérence que l’acte du congrès aura faite à la Turquie dans les affaires des principautés.

Au lieu de permettre aux principautés de suivre la politique de neutralité qui convient à leur destinée, au lieu de les laisser à ce que j’appelle la vie privée et intérieure, la seule qui soit bonne pour les petits états européens dont la seule ambition et la seule politique doit être de vivre et de prospérer ; au lieu de cela, la Porte voudra les subordonner à sa politique. Si du moins encore la Porte-Ottomane avait une politique, si elle pouvait en avoir une ! Mais la politique de la Turquie est un mécanisme dont les ressorts ne sont pas à Constantinople, mais à Londres, à Vienne, à Saint-Pétersbourg, à Paris, partout, et tantôt dans un lieu, tantôt dans un autre, selon les vicissitudes du temps et de la fortune. Ne demandez donc pas aux principautés d’avoir une politique simple et toute personnelle : elles subiront la politique de la Porte, et la Porte elle-même subira une politique tantôt anglaise et tantôt française, tantôt russe et tantôt autrichienne. L’égoïsme intelligent qui ferait le salut des