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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/538

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gles, s’était laissée tomber d’épuisement et dormait. Haoûa était morte. La tête un peu de côté, les bras raidis, les paupières fermées, dans un sommeil qui devait ne plus finir, elle était telle à peu près que nous l’avions vue dormir sur son estrade de soie, et toute couverte encore de ses fleurs blanches, qui, cette fois, lui survivaient.


Blidah, fin d’octobre.

Me voilà seul, mon ami. Vandell m’a quitté. Nous nous sommes séparés aujourd’hui même. Il part je ne sais trop pour où, ni pourquoi. Il s’en va parce que la saison l’avertit de se mettre en route, parce que sa destinée est de vivre sur les grands chemins, et d’y mourir, dit-il, lorsque son heure aura sonné.

Depuis trois jours, il m’avait annoncé sa décision. Il a recueilli tout ce qui meublait sa chambre, collections, papiers et notes, et les a transportés ailleurs. Il a renouvelé sa provision de tabac, la seule qui lui fasse quelquefois défaut lorsqu’il se trouve en plein désert. Ce matin, à sept heures, il était prêt.

— Si vous le voulez, m’avait-il dit, nous monterons par les Beni-Moussa, nous nous arrêterons soit au télégraphe, soit aux cèdres, et nous nous quitterons là-haut, c’est-à-dire le plus tard possible.

Je montai donc à cheval et l’accompagnai.

Comme nous traversions la place du marché arabe, bon nombre de gens des tribus le reconnurent : — Bonjour, Si-bou-Djaba, lui disaient-ils, où vas-tu ? — Je pars. — Tu quittes Blidah ? — Oui.

— Passeras-tu par… ? — Et chacun nommait sa tribu. — Peut-être, répondait Vandell, s’il plaît à Dieu. — Bon voyage, Si-bou-Djaba, que Dieu t’assiste, que le salut t’accompagne, que ton chemin soit bon ! — Salut sur tous ! reprenait Vandell. J’irai chez vous avant l’été. — À l’un il disait : fin décembre, à l’autre : après les neiges ; à d’autres au contraire : pendant les pluies, — suivant l’emploi qu’il destinait à chacune des divisions de son prochain hiver. Au moment de franchir la porte du ravin, il s’arrêta comme frappé d’une idée subite et tout à fait nouvelle, et me dit : — Savez-vous qu’il y a juste huit mois je passais par ici, croyant venir à Blidah pour huit jours ?

Tu connais la route escarpée que nous avons suivie, cette longue rampe en colimaçon qui commence au lit de l’Oued, décrit de grands cercles sur le flanc nord de la montagne, et conduit en quatre ou cinq heures de cheval au dernier sommet qui domine immédiatement Blidah. À mi-côte à peu près se trouve la glacière, jadis habitée par des Maltais, pourvoyeurs de neige, charbonniers et chasseurs. Il reste une ou deux baraques en manière d’abri, posées au