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pâles, puis tout le Sahel, courant, comme un sombre bourrelet, depuis Alger, dont la place exacte était déterminée par des maisons blanches, jusqu’au Chenoua, dont le pied s’avançait distinctement, comme un promontoire entre deux golfes ; au-delà, entre la côte d’Afrique et le ciel infini, la mer s’étendait à perte de vue comme un désert bleu. Dans le sud-est, on apercevait le Djurdjura, toujours blanchâtre ; à l’opposé, montait la pyramide obscure de l’Ouarensenis ; quatre-vingts lieues d’air libre, sans nuage et sans tache aucune, séparaient ces deux bornes milliaires posées aux deux extrémités des pays kabyles.

À nos pieds se développaient quinze lieues de montagnes échelonnées dans un relief impossible à saisir, enchevêtrées l’une à l’autre, et noyées, confondues dans un réseau d’azurs indéfinissables. Nous aurions pu voir Médéah, si la ville n’était masquée par le Nador et perdue dans le pli d’un ravin, qui lui-même est le versant d’un plateau très élevé, puisqu’il y neige. Droit au sud, et bien audelà de ce vague échelonnement de formes rondes, de plissures, de vallées, de sommets, — géographie réduite à l’état de carte panoramique du vaste pays montueux qu’on appelle le Tell et l’Atlas, — on découvrait des lignes plus souples, à peine sinueuses, tendues comme des fils bleuâtres entre de hautes saillies, dont la dernière, à droite, porte la citadelle de Boghar. Plus loin encore commençait la ligne aplatie des plaines. Enfin à l’extrême limite de cette interminable étendue, dans une sorte de mirage indécis, où la terre n’avait plus ni solidité ni couleur, où l’œil ébloui aurait pu prendre des montagnes pour des filets de vapeurs grises, je voyais, — du moins Vandell les nommait avec la certitude du voyageur géographe, — les sept têtes des Seba-Rous, et par conséquent le défilé de Guelt-Esthel et l’entrée du pays des Ouled-Nayl. La moitié de l’Afrique française était étendue devant nous : les Kabyles de l’est, ceux de l’ouest, le massif d’Alger, l’Atlas, les steppes, et, directement à l’opposé de la mer, le Sahara.

— Voilà mon territoire, me dit Vandell ; le monde est à celui qui voyage ! — Et il étendit les deux bras par un grand geste qui sembla contenir un moment tout le périmètre visible de cette terre africaine dont il a fait la propriété de son esprit.

Pendant quelques minutes, il examina dans le nord un point blanc qui semblait flotter entre le ciel vague et la mer très pâle. — C’est un navire qui retourne en France, lui dis-je.

Il cligna fortement des yeux, pour amortir l’éclat de la lumière qui nous aveuglait, et dit : « Peut-être, j’en ai vu quelquefois de plus loin. » Puis il tourna le dos à la mer et ne la regarda plus.

— Croyez-vous que nous nous reverrons ? lui demandai-je.