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tit de taille avec un visage tout parcheminé de rides, et dont un air de fausse bonhomie essayait de cacher l’expression maligne, tel vous apparaissait le prince. Pendant le dernier règne, son crédit menait tout. Ce fut lui qui empêcha Goethe de venir à Berlin en répondant au personnage qui s’était entremis dans la négociation : « Laissons cela, je sais d’une manière certaine que le maître ne l’aurait pas pour agréable! » Et il avait toute raison de parler ainsi, connaissant, ainsi qu’il les connaissait, le caractère et les goûts de Frédéric-Guillaume III, lequel, en fait d’écrivains et de poètes, n’aima jamais qu’Auguste Lafontaine, son Homère et son dieu, dont M. de Humboldt, comme un autre Aristote, lui lisait les romans en voyage. Néanmoins le prince de Wittgenstein jouissait à Berlin d’une certaine popularité, sa maison de la Behrenstrasse était connue de tous, et lorsque sa voiture, tournant le coin, s’arrêtait devant la porte où brillaient deux lanternes, un groupe de gamins familiers et narquois se trouvait là d’habitude pour le saluer au passage en se disant : « Le vieux renard vient de dîner au château ! »

La physionomie la plus imposante parmi les membres de la famille royale était le prince de Prusse, mais la plus aimable sans contredit, le prince Auguste. Quoique d’un âge avancé déjà, le prince avait les cheveux noirs, et dans ses yeux toute l’ardeur, toute la pétulance de la jeunesse. Jamais, si l’Almanach de Gotha n’eût parlé, vous n’eussiez retrouvé dans ses traits l’air caractéristique de la maison de Prusse. Qu’on se figure un général français du temps de l’empire : même désinvolture, même entrain, mêmes façons galantes et cavalières. Le prince Auguste avait été l’ami de Mme de Staël, et avait longtemps séjourné chez elle à Coppet. Il était le frère de ce romanesque Louis-Ferdinand, que nous avons vu dans le salon de Rahel, et dont raffolaient toutes les femmes de cette période : couple héroïque fort connu au pays de Cythère par un nombre infini de victoires et conquêtes qu’il serait trop long de relever, poétiques Dioscures au brumeux firmament de la Marche.

Cependant les jours d’épreuves s’approchaient, et tandis que le roi ne rêvait que beaux-arts, embellissemens et grands siècles, Berlin, inquiet, rancunier, mécontent, l’humeur sombre et l’esprit taquin, épiloguait, intriguait et vilipendait. Deux glas funèbres qui sonnèrent en quelque sorte coup sur coup avertirent la famille royale de se préparer aux catastrophes. La princesse Guillaume mourut, et son fils, le prince Waldemar, ne tarda pas à la suivre au tombeau. Étrange apparition que ce jeune homme! Pâle, recueilli, taciturne, ombrageux, il avait la mine d’un anachorète. Tout au rebours de ses cousins, il ne se sentait dans l’âme que froideur pour l’état militaire. La parade et la manœuvre, ivresses des princes prussiens, le trouvaient dénué d’entraînement. Bizarre symptôme