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tout était à créer. Le calcul assis sur ces bases ne permet guère de contester à ce règne le premier rang dans l’ordre des contingens. Sous Napoléon, la difficulté était moins de réunir des fonds que de les employer; les travaux étaient arrivés à une période où l’essor n’en pouvait être complet qu’à l’aide de la machine à vapeur, et c’était se tromper sur les rigueurs des élémens aussi bien que sur la constance de la fortune que d’annoncer, dans l’exposé de la situation de l’empire de 1811, que l’établissement de Cherbourg serait terminé avant dix ans. La grandeur des efforts qu’il a faits lorsque des guerres acharnées semblaient devoir l’absorber tout entier n’en est pas moins un des témoignages les plus éclatans de l’ordre et de l’intelligence de son administration. Quant à la restauration, ses forces ont été longtemps comprimées par la charge de l’arriéré de deux invasions. Le gouvernement du roi Louis-Philippe a fait les plus grands travaux de la digue, et celui de l’empereur Napoléon III a eu l’honneur, assez enviable dans un pays où l’on commence tant de choses, d’en finir une des plus grandes qui s’y soient jamais entreprises.

Pour ne rien omettre sur l’établissement militaire de Cherbourg, il faudrait raconter les fêtes dont il a retenti cette année : j’en ai quitté le théâtre la veille du jour où elles allaient commencer. L’activité silencieuse du port aux jours de travail allait mieux au dessein de le visiter une quatrième fois avant de le décrire que les transports d’une solennité populaire. Peut-être aussi ai-je eu la faiblesse de craindre de superposer des souvenirs trop éclatans aux souvenirs laborieux de 1811. La présence de la reine d’Angleterre à l’inauguration du dernier bassin de notre arsenal de la Manche a cependant ajouté une page brillante à l’histoire de l’année 1858; mais aujourd’hui que la terre et la mer ne retentissent plus de salves et d’acclamations, que l’éblouissement causé par le concours de tant de merveilles se dissipe, il reste à rendre à ceux qui, morts ou vivans, ont conçu, poursuivi, complété les travaux de Cherbourg, un hommage plus modeste, plus durable que des fêtes, et non moins digne d’eux et de la nation : ce serait la publication pure et simple de tous les documens qui se rapportent à l’exécution de cette grande entreprise. L’établissement de Cherbourg tient assez de place parmi les élémens de notre puissance militaire pour en avoir une spéciale dans notre histoire, et l’on inspire aux nations de nobles desseins en retraçant ceux qu’elles ont accomplis.


J.-J. BAUDE.