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ninsule dans une confédération présidée par le pape, voilà le plan théorique de la brochure. Dans les circonstances actuelles, ce plan est évidemment chimérique, car ce qui était possible en 1847, avec le courant libéral qui régnait alors en Europe et en Italie, ne l’est plus dans l’ère de réaction qui a succédé partout à ce mouvement. Trouverait-on dans les princes qui sont à la tête des états italiens les mêmes dispositions qu’ils montraient il y a douze ans ? Personne n’y compte assurément. Il faudrait donc, pour réaliser la confédération proposée, faire violence aux princes actuels, ou changer les gouvernemens et les maisons régnantes dans la plupart des états qu’il s’agirait d’associer. Ici nous touchons aux moyens d’exécution indiqués par la brochure. L’auteur au fond ne laisse entrevoir d’autre moyen d’accomplir ses plans de remaniement et de réorganisation de l’Italie que la force et la guerre. C’est en vain qu’il croit éluder cette nécessité en adressant un appel à l’opinion et en demandant à la diplomatie, avec des expressions certes peu pacifiques, de faire « la veille d’une lutte ce qu’elle ferait le lendemain d’une victoire » — « S’il est démontré, dit-il encore, que la situation des états italiens soit non-seulement une cause de souffrance pour ce pays, mais encore une cause d’inquiétude pour l’Europe, la lettre des traités serait vainement invoquée ; elle ne pourrait pas tenir contre la nécessité de la politique et de l’intérêt de l’ordre européen. » Peut-être ces expressions donnent-elles à entendre qu’un congrès devrait être chargé d’exécuter le plan que l’on soumet à l’opinion ; mais n’invoque-t-on pas bien souvent et bien légèrement en France l’intervention des congrès ? Un congrès peut-il être appelé à refaire les traités aux dépens de ceux qui ne les ont point violés, c’est-à-dire à supprimer gratuitement les droits que ces traités consacrent ? Quelle autorité morale pourraient avoir les nouvelles conventions arrêtées par des congrès qui auraient eux-mêmes commencé par méconnaître l’autorité du droit public en vigueur avant eux ? Qui reconnaîtrait une telle juridiction ? Et avant de la faire admettre, ne serait-on pas condamné à contraindre tous les états européens à se réunir par un pacte fédéral ? Assigner aux congrès une autorité supérieure aux traités, leur attribuer ce rôle arbitraire et coërcitif, n’est-ce pas en termes déguisés en appeler à la force ? Demander à la diplomatie de faire la veille d’une lutte ce qu’elle ferait le lendemain d’une victoire, c’est oublier, dans les fumées de l’antithèse, qu’entre la veille d’une lutte et le lendemain d’une victoire il y a un moment fatal où les traités sont violés par une politique téméraire qui croit plus à la force qu’à l’influence morale du droit, et que c’est pour réparer cette lésion du droit écrit, et non pour la commettre eux-mêmes, que les congrès sont convoqués au lendemain des victoires. Une telle conclusion équivaut de bien près à un appel à la force. Cet appel à la force serait-il justifié, nous ne disons pas seulement par les vrais intérêts de la France, mais par la générosité de la cause que l’on arbore ? La générosité d’une cause n’absout pas la violation arbitraire des traités. Où serait en effet le principe qui déciderait quelles sont les causes généreuses et quelles sont celles qui ne le sont pas ? La conscience de l’Europe est choquée de cette fièvre cynique d’absorption, de ce flibustiérisme dont la Jeune Amérique est possédée : prenons garde de nous laisser aller aux mêmes tentations.