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existence propre, des biens propres, une administration libre et indépendante dans la mesure compatible avec l’intérêt général de l’état. C’est aussi en s’élevant à ces considérations et en s’appuyant sur ces bases que le législateur moderne a réglé la constitution communale. Il a ainsi marqué le point qui sépare le droit de propriété de la commune de celui des établissemens publics, œuvres de la loi, et le rapproche du droit des citoyens en général, placé au-dessus de la loi. Là aussi réside toute la puissance de la commune : sur elle roulent les siècles, mais toujours elle est là qui survit ; elle survit à la domination romaine, elle survit à la domination barbare, à la domination féodale, à la monarchie absolue, et après tant d’épreuves et de périls, après tant de luttes, de combats et de sang, on la retrouve avec ses biens et ses libertés ; c’est d’elle semble-t-il qu’on a pu dire qu’il n’y a pas de droit contre le droit.

La commune n’a jamais reconnu qu’un fait d’occupation, la conquête, et ce fait est en réalité le seul qu’il soit essentiel d’étudier, quand il s’agit de marquer les grandes périodes de l’histoire des biens communaux. On recherche encore aujourd’hui avec une incroyable ardeur quel a été le résultat de la conquête des Francs pour la municipalité romaine. Fut-elle dépouillée alors de ses immenses possessions, et n’a-t-elle dû qu’à la bienfaisance féodale d’en recouvrer une partie par des concessions directes de terres ou par des droits d’usage, ou bien faut-il dire que les Barbares ont respecté ses droits et ses biens, et que la féodalité seule l’a dépouillée des uns et des autres ? Tel est le vaste sujet de concours que proposa l’Académie des sciences morales en 1855. Elle demandait que l’on fit l’histoire des biens communaux en France depuis l’origine de ces biens jusqu’à la fin du XIIIe siècle[1]. Un des écrivains qui ont répondu à cet appel, M. Armand Rivière, n’a pas pensé qu’il y eût profit sérieux pour la question à pousser les investigations jusqu’à la période gauloise ; il s’est arrête aux institutions romaines. Ainsi qu’il le dit lui-même, c’est là qu’il a recherché la source vive de la

  1. Voici en quels termes s’exprimait le programme de l’Académie : « L’origine des biens communaux est un des points les plus controversés de notre ancienne histoire ; aussi n’a-t-on jamais pu s’accorder sur la nature du droit qui appartient aux habitans. Au lieu d’étudier la question en elle-même, on s’est décidé d’ordinaire suivant l’idée générale qu’on se faisait de la féodalité, de sa naissance et de son établissement. Tantôt on n’a reconnu aux communes qu’un simple droit d’usage, originairement concédé par la bienveillance du seigneur, tantôt au contraire on leur a attribué la propriété primitive, et on n’a vu dans les seigneurs que des usurpateurs abusant de leur juridiction pour s’emparer de ce qui ne leur avait jamais appartenu, — La première opinion est visible dans la grande ordonnance des eaux et forêts de 1669, qui reconnaît aux seigneurs le droit de triage, c’est-à-dire le droit de prendre en toute propriété le tiers des communaux ; la seconde opinion est au fond de toute la législation domaniale de la révolution. »