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par celui-ci au mahârâdja. La conversation, en se prolongeant, eût fait perdre à Badji-Rao tout le terrain qu’il venait de gagner par l’autorité de sa parole. Le moment semblait donc venu de mettre la main sur le jeune lion qu’il avait fait tomber dans ses filets. Amrat-Rao, se penchant à l’oreille de son frère, lui demanda : — Est-il temps ? — Mais le peshwa eut l’air de ne pas l’entendre. Il songea tout à coup aux partisans de Dowlat-Rao, prêts à le délivrer si on le faisait prisonnier, capables de mettre la ville à sac une fois encore, si l’on attentait aux jours de leur jeune chef. Il se voyait personnellement en butte aux colères d’une faction terrible dans un moment où lui manquaient tous les moyens de défense. Ces considérations agirent si vivement sur l’esprit du peshwa, qu’il perdit courage. Le signal de se précipiter sur Dowlat-Rao-Sindyah ne fut pas donné, et le jeune souverain, qui s’était jeté tête baissée dans le piège, put s’en retirer sain et sauf, sans même connaître l’étendue des périls qu’il venait de courir. Cependant il ne tarda pas à soupçonner la vérité. Toute trace de l’impression qu’avaient faite sur lui les remontrances du peshwa s’effacèrent aussitôt. Blessé dans son orgueil, il ne se ressouvint plus que de l’attitude hautaine du brahmane et des remontrances violentes du ministre qui s’emportait contre lui en invectives après avoir mendié son appui. Néanmoins Dowlat-Rao, dissimulant sa mauvaise humeur, se montra respectueux jusqu’au bout, et ce fut avec des expressions d’une parfaite obéissance qu’il se sépara du peshwa.

Cette entrevue n’avait amené aucun résultat, aucune difficulté n’avait été aplanie, et cette crise douloureuse que les Mahrattes ont appelée la révolution, gardî-ka-wakt (le temps du bouleversement), devait aboutir à de nouvelles scènes de désordre. Tous les liens de l’obéissance se relâchaient successivement ; l’armée du peshwa, après s’être soulevée en demandant sa solde, arrachait le turban de son général et le foulait aux pieds à traversées rues. La ville de Sa-tara, habitée par le râdja, allait être à son tour livrée au pillage, et le souverain de la confédération mahratte, à peine défendu par quelques milliers de soldats, courait s’enfermer dans la citadelle bâtie au milieu des rochers, au-dessus de la résidence royale. Tous ces malheurs venaient d’une même source, de la politique tortueuse du peshwa Badji-Rao. Après avoir armé les uns contre les autres, à force de promesses, Sindyah, Holkar, quelques anciens partisans de Nana-Farnéwiz rendus à la liberté et le râdja lui-même, il se troublait, et les fils de la trame qu’il avait ourdie en secret se brouillaient entre ses mains. L’obstination avec laquelle le vieux chancelier avait cherché à usurper pour son compte l’autorité des peshwas avait provoqué aussi en grande partie ces lamentables événemens.