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guerre ? Est-il possible de fonder par la force, et surtout avec le concours et à travers la lutte de forces étrangères, une indépendance et une liberté durables ? Ces considérations nous paraissent si redoutables, que nous ne comprenons point qu’elles ne frappent pas tous ceux qui se donnent pour les fervens amis de l’Italie. Des considérations non moins puissantes prescrivent à la politique française la patience et la modération dans ses efforts en faveur de l’Italie. Il ne faut pas que même pour une cause généreuse la. France s’expose au reproche et au danger de troubler arbitrairement le repos du monde, et de compromettre ces grands intérêts du travail, du commerce et de l’industrie qui ont pris une si large place dans la vie des sociétés modernes. L’on vient, d’avoir le triste spectacle des effets que la crainte seule, une crainte vague et indéterminée, de complications qui pourraient se dénouer par la guerre a produits sur ces intérêts. En quelques jours, la panique a déprécié de plus d’un milliard peut-être la valeur de cette partie de la richesse, mobilière de l’Europe qui se cote sur les bourses de Paris, de Londres et d’Allemagne. Ceux qui accusent cette panique d’aveuglement la justifient plus qu’ils ne la condamnent par un tel reproche. Le premier besoin de ces intérêts, qui font la grandeur et la prospérité d’une nation, c’est la lumière et la publicité qui permettent au bon sens de prévoir, de contrôler et de mesurer les chances de l’avenir. Est-ce leur faute s’ils ont été aveugles dans cette circonstance ? Ils n’ont été aveugles que parce qu’on ne leur a rien laissé voir, et que, surpris par des incidens inattendus, ils se sont heurtés contre l’inconnu.

Aussi, devant la leçon encore chaude de cette fâcheuse expérience, avons-nous l’espoir que le pays sera promptement associé, par la publicité des travaux, accomplis de la diplomatie, aux chances qui intéressent la France dans les questions engagées en Italie. Lorsque Casimir Périer disait avec un bon sens éloquent : « L’or et le sang de la France n’appartiennent qu’à la France ! » il ne prêtait point une formule retentissante aux lâches sentimens d’un étroit égoïsme ; il entendait dire sans doute que dans ces hasardeuses entreprises qui s’imposent quelquefois à une grande nation, et lui demandent les cruels sacrifices de la guerre, c’est la nation qui doit demeurer juge de l’opportunité de ces sacrifices et de l’étendue qu’elle veut leur donner. Nous espérons que la question italienne ne conduira point la France à cette grave extrémité ; mais si nous nous trompions dans cette espérance, nous croirions avoir le droit d’attendre dans les libertés accrues de notre pays une compensation aux sacrifices qui nous seraient demandés en faveur des libertés de l’Italie.

Malgré l’incertitude des événemens et les difficultés des questions qui viennent de s’engager, nous ne voulons pas croire encore à la guerre. Sans compter les notes des journaux officiels et semi-officiels, on peut avoir de fortes raisons de se rassurer. Parmi ces motifs de confiance, nous signalerons surtout les dispositions financières arrêtées à la fin de décembre par les ministres des finances et des travaux publics. Le rapport financier de M. Magne ne laissait certes point entrevoir des perspectives belliqueuses pour le prochain exercice. La pensée de réduire le minimum des dépôts des caisses d’épargne, l’amortissement porté de 40 à 60 millions, etc., n’étaient point la préface d’un budget de guerre. De même, M. le ministre des tra-