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à tenir ses troupes peu éloignées de celles de Holkar, répondant aux remontrances des agens anglais qu’il lui importait de surveiller la marche de ce brigand, tout chargé du butin enlevé à ses propres villes. Dans ces paroles, il entrait un peu de vérité : Dowlat-Rao-Sindyah ne pouvait pardonner au représentant de la famille Holkar ses déprédations, tant de fois renouvelées. Il l’eût châtié, si les circonstances le lui avaient permis. Cependant il haïssait au moins autant les vainqueurs qui venaient de l’asservir lui-même, et, faisant taire sa jalousie, il souhaitait sincèrement le succès des entreprises de Djeswant-Rao. Aussi les Anglais cherchèrent-ils constamment à empêcher la réunion de ces deux hommes, prêts à tenter une fois de plus la chance des combats, si l’occasion leur était laissée de se voir, de s’entendre, et de se réconcilier, au moins en apparence. Cette réunion eut lieu cependant. Djeswant-Rao, chassé de Bharatpour, courut droit au camp de Sindyah, la tête remplie de projets incohérens. Il voulait soulever les Seikhs et transporter le théâtre d’une nouvelle guerre dans le Pendjab. Le terrible Shirzie-Rao, beau-père du mahârâdja, appuyait cet avis, qui plaisait à son caractère violent. Toujours indécis, Dowlat-Rao subissait les influences de ceux qui l’entouraient; puis, par un de ces reviremens si communs à la cour de ces souverains sans foi et sans moralité, il retira sa confiance une fois encore à Shirzie-Rao pour la reporter sur un autre de ses ministres qu’il tenait en prison[1]. Certes la disgrâce de cet homme de sang pouvait passer pour un acte de justice, mais le mahârâdja ne rendait la liberté à son ancien favori qu’afin de lui arracher des sommes énormes dont Djeswant-Rao s’attribua la moitié. Bientôt la discorde éclata entre le ministre disgracié Shirzie-Rao et le ministre dépouillé de ses richesses. Dowlat-Rao prêta une oreille moins docile aux conseils belliqueux de Holkar, et celui-ci, traînant à sa suite les restes de son armée, se jeta dans le Pendjab. Les Seikhs ne se levèrent point à son approche. Rundjet-Singh, alors dans la force de l’âge et au début de sa carrière, ne sympathisait point avec les Mahrattes, dont la puissance déclinait de jour en jour. Harcelé par l’armée anglaise, qui s’était mise à sa poursuite, Djeswant-Rao--

  1. Ce favori tombé en disgrâce était Amba-Dji-Inglia. « Il avait été employé jadis dans le Radjepoutana, et, quoiqu’il eût opprimé les princes et les chefs de ce pays, il se montrait affectueux envers les habitans, et leur témoignait une certaine sympathie. Ce fut à son départ que commencèrent les scènes de dévastation. » Ainsi s’exprime sir John Malcolm; le même auteur, en parlant plus loin de la part que prit Djeswant-Rao à la confiscation des biens d’Amba-Dji, ajoute ces réflexions : « Cet officier, que Sindyah avait longtemps employé dans l’administration de ses plus riches provinces, fut contraint de rendre ses richesses par des moyens aussi violens et aussi injustes que ceux dont il s’était servi pour les acquérir. » Ces sommes extorquées à Amba-Dji sont évaluées à 50 laks de roupies, environ 14 millions de francs.