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plus libres et les plus éclairés de l’Europe. Son rôle dans l’histoire lui paraissait assez beau. N’avait-elle pas eu quelque part à tout ce qui s’était fait de grand dans le monde depuis la réforme ? N’avait-elle pas fourni François Le Fort à la Russie, Delolme à l’Angleterre, Albert de Gallatin aux États-Unis, Necker, Clavière, Dumont, Mallet-Dupan à la révolution française ? Et quelle série d’hommes remarquables dans les sciences et les lettres ! Pour ne citer que les plus célèbres, aux noms de Jean-Jacques Rousseau, de Charles Bonnet, de Saussure, étaient venus se joindre, après le retour de l’indépendance, ceux de Candolle, Pictet, de La Rive, Rossi, Töpffer, etc. Certes Genève, avec ses vingt-cinq mille habitans, pouvait être fière d’une pareille renommée. À l’intérieur, sa prospérité matérielle n’était pas non plus en souffrance. Sous un régime d’entière liberté, le commerce et l’industrie se développaient, l’aisance devenait générale, et grâce aux efforts de la charité privée, la misère semblait bannie de cet heureux coin de terre.

Comment donc une révolution est-elle venue tout à coup troubler cette paix et faire disparaître l’union parfaite qui semblait régner entre tous les citoyens de la petite république ? Il n’y a pas d’effet sans cause. Évidemment cette révolution existait en germe et fermenta longtemps sous le calme extérieur de la société genevoise. Une étude attentive doit permettre d’en découvrir les premiers symptômes et d’en suivre les progrès successifs jusqu’au moment où l’explosion eut lieu. En retrouvant ainsi l’origine des griefs imaginaires ou réels du peuple genevois, on aura l’élément le plus propre à répandre quelque lumière, soit sur le mérite de l’ancien système, soit sur la portée des projets dont le nouveau régime poursuit l’exécution. Il faut interroger l’histoire du passé pour mieux comprendre le présent, rappeler quelles crises a traversées la société genevoise de 1814 à 1846 pour bien apprécier les résultats de la révolution présente, d’abord dans l’ordre moral, puis dans l’ordre économique. C’est ce qu’on essaiera de faire ici avec une complète indépendance et le désir sincère de préciser équitablement le tribut d’éloge ou de blâme que la société genevoise doit à chacun des partis qui l’ont gouvernée depuis quarante ans.


I.

Lorsqu’après la chute de l’empire Genève eut recouvré son indépendance, elle dut, afin de pouvoir être agrégée à la Suisse comme canton, obtenir un agrandissement de territoire destiné à désenclaver plusieurs de ses communes. Grâce à l’appui qu’elle trouva dans le congrès de Vienne, cet appoint qu’exigeait la confédération suisse