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charrient des cadavres d’animaux, et pourquoi les rivières des contrées encore vierges n’en transportent jamais.

Les navigateurs des diverses nations ont lutté de persévérance pour explorer les parages glacés du pôle arctique. Ils étaient soutenus par l’espérance de découvrir le passage du nord-ouest. Au contraire, ils n’ont point porté leurs regards vers l’extrémité sud de l’Amérique; la civilisation semblait désespérer d’atteindre la Patagonie. Il y a peu d’années encore, on connaissait à peine cette vaste région ; on en racontait les fables les plus étranges. Magellan, qui la découvrit en 1520 et donna aux habitans le nom de Patagons, raconta que sa tête atteignait seulement à leur ceinture; depuis cette époque, plusieurs navigateurs ont assuré que les Patagons sont des géans. Disons-le à la gloire de notre pays, c’est à un de nos compatriotes, c’est à d’Orbigny qu’est due la première exploration vraiment scientifique de la Patagonie. Ses observations ont été agrandies et confirmées par les belles recherches de Darwin. D’Orbigny avait choisi le nord pour théâtre de ses travaux; Darwin étudia plus particulièrement le sud. Le centre est encore absolument inconnu, il est laissé en blanc sur les meilleures cartes géographiques; c’est un des rares espaces des deux Amériques où nul Européen n’a encore pénétré. D’Orbigny resta huit mois en Patagonie; il établit son quartier-général au Carmen, colonie fondée par la République-Argentine. Les Patagons vinrent assiéger le Carmen; ils égorgèrent tout ce qui tombait entre leurs mains : le naturaliste devint soldat. Malgré mille périls, il fit des excursions dans l’intérieur du pays : « Je comptais, nous dit-il, sur ma bonne étoile, qui m’avait sauvé tant de fois. » Il a considéré la Patagonie sous tous ses aspects : météorologie, géologie, histoire naturelle, étude des races, rien n’a échappé à ses regards.

Située entre le 35e et le 53e degré de latitude dans l’hémisphère austral, la Patagonie est plus froide que les régions placées à une latitude correspondante dans l’hémisphère boréal. Ce n’est plus l’Amérique avec sa force exubérante de végétation; aux bois de palmiers ont succédé de maigres arbustes ; comme les plantes, les animaux sont devenus plus rares; les oiseaux et les insectes ont un coloris plus terne. Les habitans de cette triste contrée sont encore tous sauvages. Le problème de la taille des Patagons est resté longtemps insoluble. Parmi les voyageurs, les uns avaient prétendu que ces indigènes ont neuf, dix, onze pieds de haut; d’autres, qu’ils sont longs de trois aunes; quelques-uns, au contraire, assuraient que ce ne sont pas des géans, mais seulement des hommes d’une taille très élevée. D’Orbigny a mesuré un grand nombre de Patagons, et la série des chiffres précis qu’il nous a donnés ne peut laisser de doute sur leur taille. Le plus grand des hommes observés par lui avait