Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/907

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Depuis l’établissement des chemins de fer, la nature des transports opérés par le cabotage a subi encore une sensible modification. Les marchandises qui l’ont surtout déserté sont, on le devine, celles d’une grande valeur sous peu de poids et peu de volume, en général les produits fabriqués, qui s’accommodaient le moins des lenteurs d’une telle navigation, car pour eux le temps est de l’argent. Par contre, les transports agricoles ont augmenté d’importance, surtout lorsqu’il s’est agi, non pas de pourvoir à des besoins pressans, immédiats, mais de créer des approvisionnemens par spéculation. Ainsi le grain et la farine, qui n’entraient jadis que pour un dixième dans le cabotage, ont fourni 18 pour 100 de ces transports en 1857. Comme les mouvemens des céréales par cabotage sont intimement liés à ceux de la navigation extérieure, il est à présumer que si nos exportations et nos importations de céréales venaient à prendre un cours plus actif et plus régulier, le cabotage en ressentirait l’heureuse influence. C’est ainsi que cette question douanière des céréales se présente à nous presque sans cesse, dès qu’il s’agit de la prospérité de notre marine, autant dans la grande que dans la petite navigation. Ajoutons que les conditions d’activité dans les transports du vin par le cabotage sont exactement les mêmes que pour les céréales.

La culture emploie néanmoins les chemins de fer de préférence à la navigation, partout où elle en a le choix, lorsqu’il s’agit du transport d’animaux, du lait, du beurre, des fruits, en un mot de produits susceptibles de se détériorer dans une route trop longue. C’est de la sorte que certaines de nos compagnies trouvent dans cette circulation agricole leurs bénéfices les plus nets. Les chemins de fer, en offrant à la culture de rapides et puissans moyens de transport, qui lui manquaient totalement dans notre pays, où le système de navigation intérieure a toujours été fort incomplet, lui ont rendu d’importans services, car la condition expresse du progrès agricole est un débit avantageux. Nos compagnies n’ont pas tout fait néanmoins pour l’agriculture. Les tarifs ont été, il est vrai, adoucis pour elle. Il n’est pas de denrées, blé, animaux, légumes, fruits, qui ne soient transportées à prix réduits, pourvu que l’expéditeur livre un certain poids minimum, qui est d’ordinaire la charge complète d’un wagon. Or c’est contre cette condition que réclame justement la petite culture, car elle est toujours impuissante à livrer isolément ce poids minimum. Peut-elle fournir à la fois des bœufs par dizaine, ou des parcs entiers de moutons? Peut-elle apporter à la gare assez de lait, assez de produits de son petit domaine? Il lui faut recourir au commerçant intermédiaire, qui seul bénéficie de la réduction.