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présenta la sultane et ses filles, « de vilaines créatures du vrai type malais. Quoiqu’il y eût là beaucoup d’hommes et de jeunes gens, elles ne portaient que de simples sarongs, montant jusqu’à la moitié de la poitrine. » Ainsi se termina l’audience, dont le cérémonial avait été réglé d’après les indications officieuses du domestique de Mme Pfeiffer. L’absence du sultan, annoncée la veille, avait été imaginée pour laisser aux ministres le temps de prendre des renseignemens et de tenir conseil sur les formalités à observer à l’égard de la voyageuse européenne, et à défaut de précédens on avait fait appel à l’expérience du domestique malais, qui pouvait dire comment sir James Brooke était dans ses tournées reçu par les princes indigènes. Comme on ne possédait point à Sintang de vaisselle convenable pour la collation, on avait secrètement emprunté celle de Mme Pfeiffer, qui reconnut ses couverts et ses plats, prêtés à son insu par son Malais. — Le principal but de Mme Pfeiffer était d’obtenir les moyens de se rendre à Pontianak. Le sultan s’engagea à mettre à sa disposition pour le lendemain un bateau convenable pour cette traversée, et, avant son départ, il alla lui rendre sa visite dans la cabane où elle s’était établie. Son père et plusieurs parens l’accompagnaient ; quant aux femmes, l’étiquette leur interdisait une pareille démarche. Mme Pfeiffer put remarquer dans cette occasion à quel point les Malais de Bornéo sont ignorans des usages européens. Tout son bagage fut examiné avec une curiosité presque enfantine, et chaque objet provoquait des questions sans nombre, qui se terminaient toujours par des expressions de convoitise attestant une grande indiscrétion ou une extrême naïveté. Les Dayaks s’étaient montrés beaucoup plus réservés, plus convenables et plus intelligens. L’Europe n’était cependant pas bien éloignée : en moins de quatre jours, Mme Pfeiffer débarquait à Pontianak, où flotte le pavillon hollandais.

Pontianak est situé à vingt milles de la mer, dans une plaine très boisée, arrosée par plusieurs cours d’eau, qui favorisent la culture du riz. Les environs de la ville ne sont que marécages. Un gouverneur hollandais, quelques employés, les officiers d’une garnison de cent trente hommes installés dans un fortin, un chirurgien, fonctionnaire très utile et très occupé dans un pareil pays, voilà l’effectif de la population européenne. Quel exil pour les malheureux que les hasards de la carrière coloniale confinent dans une telle résidence, en compagnie des fièvres et de peuplades à peu près sauvages ! De jeunes officiers habitués au comfort et aux délicatesses de la vie civilisée passent là ce que l’on est convenu d’appeler les plus belles années de leur vie. S’ils avaient du moins l’honneur de la conquête et les émotions du combat ! Mais non, la Hollande se borne à main-