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belles paroles, de merveilleuses sentences spiritualistes, empruntées à tous les siècles, à tous les maîtres, et qui viennent sans cesse raviver l’attention du lecteur. Les modernes y tiennent leur place au même titre que les anciens ; Mme de Staël prend la parole en compagnie de saint Augustin et de saint Jean Chrysostôme, et M. de Tocqueville avec Platon et Aristote. Cette riche anthologie morale, si libéralement composée, donne une physionomie toute neuve à l’exposition des éternels principes de la science. Quant à la doctrine générale de ces leçons, M. l’abbé Flottes aurait pu prendre pour épigraphe les belles paroles de saint Clément d’Alexandrie : « J’appelle philosophie non celle des stoïciens, ni celle de Platon, ni celle d’Épicure, ni celle d’Aristote, mais tout ce qui a été dit d’excellent par chaque secte, tout ce qui enseigne la justice avec une science pieuse; c’est ce tout, cet ensemble éclectique que j’appelle philosophie. La philosophie introduit donc et prépare à l’avance ceux que le Christ achève. »

Le dernier ouvrage de M. l’abbé Flottes, celui qui doit surtout nous occuper ici, se rattache étroitement, on va le voir, à l’ensemble de travaux dont nous venons de donner une analyse trop rapide sans doute. Puisqu’une des préoccupations les plus vives du savant théologien est d’enlever aux ennemis de la raison les prétendues autorités qu’ils invoquent dans l’histoire de l’église, il y a un penseur du XVIIe siècle dont il lui appartenait d’interpréter les œuvres et de déterminer avec précision le rôle philosophique. Daniel Huet peut-il fournir des argumens aux hommes qui ont entrepris de sacrifier la raison à la foi? À cette question, M. l’abbé Flottes a répondu par un livre qui mérite l’attention la plus sérieuse.

Avant d’exposer le véritable sens des théories philosophiques de l’évêque d’Avranches, M. l’abbé Flottes commence par peindre sa physionomie morale, il signale les bizarreries de son esprit, ses grâces de dilettante, son goût des savans badinages, ses superstitions singulières, ses subtils paradoxes, — et ce portrait, dessiné d’une main exacte et sûre, nous prépare ingénieusement à l’explication qui va suivre. Ce ne sont pas ici de simples curiosités littéraires, les plus sérieux problèmes sont en jeu, et l’on s’en aperçoit bien vite à la gravité de la démonstration. L’auteur ne s’amuse pas aux détails et ne recherche pas les ornemens; il écrit pour prouver. Citations des textes, témoignages des contemporains, tout cela entre les maints de M. l’abbé Flottes prend un caractère particulier d’autorité; on dirait un juge qui prononce un arrêt.

Il n’est certainement pas sceptique, le théologien qui a dit: « La raison n’est pas la cause de la foi; mais après qu’elle nous a enseigné qu’il faut suivre la foi pour guide, elle conserve le droit d’examiner si les dogmes proposés sont incroyables, s’il y a des motifs de crédibilité pour les accepter, car aucune cause ne peut forcer l’esprit à croire des propositions incroyables, c’est-à-dire qui seraient dépourvues de ces motifs. Dieu ne le commande point, ce serait porter la perturbation dans l’intelligence, et lui faire violence : la raison est donc juge des motifs de crédibilité; mais lorsque la foi ne repose que sur des motifs, elle est humaine, c’est-à-dire qu’elle n’a que la certitude à laquelle la raison peut atteindre. C’est lorsque la grâce est intervenue que la foi est divine, c’est-à-dire qu’elle est accompagnée d’une