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certitude absolue, exempte de tout doute. » Voilà en résumé tout le système de l’évêque d’Avranches sur les rapports de la raison et de la foi. Comment expliquer cependant les maximes toutes différentes que nous trouverons plus tard sous sa plume? Quelle interprétation donner à ce Traité philosophique de la Faiblesse de l’Esprit humain, qui produisit une émotion si fâcheuse parmi les théologiens du XVIIe siècle? Pourquoi l’auteur prend-il plaisir à rassembler tous les argumens des pyrrhoniens, à les passer en revue, à les ranger en bataille? Ce traité, le dernier de ses écrits philosophiques et son livre de prédilection, ne doit-il pas être considéré comme le testament de sa pensée? À ce compte, l’évêque d’Avranches, après avoir tenté dans plusieurs ouvrages l’accord de la raison et de la foi, aurait fini par désespérer de ses efforts et par proclamer l’impuissance de l’esprit humain. Le scepticisme, chez cet ingénieux érudit, serait le résultat de la lassitude intellectuelle, et Daniel Huet aurait trouvé le repos, tout en souriant de son plus fin sourire, sur l’oreiller de Montaigne. N’est-ce pas là le jugement le plus modéré qu’un critique équitable doit porter sur les contradictions de l’évêque d’Avranches ?

Point du tout; regardez-y de plus près. Le Traité philosophique de la Faiblesse de l’esprit humain se rattache étroitement aux précédens ouvrages philosophiques de l’auteur. Au milieu de ses doctes frivolités, l’ami de Chapelain, l’admirateur de Desmarets, avait imaginé tout un système sur le plus grand problème qui ait tourmenté les philosophes chrétiens, Je veux dire les rapports de la foi et de la raison. Ce système très complet, très logiquement enchaîné, fruit de longues et laborieuses méditations, il en avait déposé le germe dans la préface de sa Démonstration évangélique ; il le soutint, sans oser encore l’exposer directement, dans sa Censure de la Philosophie cartésienne ; il le développa enfin dans les Questions d’Aunay. Or la place de la raison est immense dans le système de Huet : c’est la raison qui prépare la foi, c’est la raison qui est juge de la crédibilité des dogmes; seulement, quand la raison a fini sa tâche, quand elle a conduit l’esprit de l’homme au seuil des domaines supérieurs où va le faire pénétrer la foi, la foi couronne l’œuvre de la raison. Qu’on approuve ou non cette théorie, il est impossible de ne pas y voir une ingénieuse combinaison d’idées et un sentiment très équitable des droits de la pensée libre. — Fort bien, dira-t-on; mais ce beau système n’a-t-il pas été renié ensuite par l’auteur? Ne le voyons-nous pas renversé de fond en comble dans ce traité De Imbecillitate mentis humanæ, où tous les argumens des sceptiques sont développés à plaisir? Grave erreur : Daniel Huet ne renonce pas à son système; il s’y attache si bien au contraire, que le Traité de la Faiblesse de l’esprit humain est un argument ad hominem contre ceux qui, supprimant un des termes du problème, n’admettent que la raison sans la foi et la philosophie sans la religion. Pour combattre ses adversaires, Huet met en scène un sceptique et lui donne carte blanche. Il s’amuse à troubler, à inquiéter la raison humaine; il lui rappelle les coups qu’elle a reçus, les ennemis qui l’entourent, et semble lui demander pourquoi elle se prive volontairement des secours que lui fournirait une solide alliance avec la foi. Huet lui-même a pris soin de nous en avertir : tout cela est un jeu, un pur badinage