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tout sur une éclaircie semblable dans ses affaires. Il vit d’illusions, et il le faut bien, car je regrette de dire que souvent il n’a pas à son service d’aliment plus substantiel. Sur le champ de foire comme sur tout autre théâtre, l’habileté de l’homme est d’ailleurs pour beaucoup dans les moyens de succès. « Le succès, me disait un showman, dépend moins de l’objet qui est montré que de la manière dont on le montre. Le grand serpent de mer lui-même ne serait rien sans une chronique orale qui parle à l’imagination de la foule. » Le showman a toujours deux auditoires auxquels il doit plaire : l’un qui est dans la baraque, l’autre qui s’arrête à la porte ou qui rôde autour des toiles. Le grand art est de les tenir l’un et l’autre en belle humeur. Les exhibiteurs forains ne se font pas plus scrupule que leurs aristocratiques confrères d’abuser de la crédulité du public; mais ils ont du moins une excuse, leur misère. Quelques-uns d’entre eux ont même inventé à ce sujet une théorie pour mettre leur conscience en repos. Toute personne, disent-ils, qui entre dans ces endroits-Là se dévoue à être trompée, et ce serait de notre part un manque de respect, presque un acte de mauvaise foi, que de frustrer l’attente des spectateurs. Toute la science du showman consiste à bien déguiser le subterfuge, car si le public consent à être dupe, il n’aime point à découvrir lui-même la fraude. Le vrai est souvent ce qu’il y a de moins vraisemblable : de réels sauvages, des Bosjesmans, ayant été montrés pour 1 penny à la foire de Glasgow, la foule, — et elle était nombreuse, — prétendit que c’étaient des Irlandais ou des ramoneurs déguisés. Quand je réfléchis d’ailleurs à toutes les qualités qu’il faut pour faire un bon showman, — l’énergie, la persévérance, l’esprit d’impromptu, le courage stoïque au milieu des privations les plus amères, — je suis tenté de regretter que ces dons de la nature se dispersent en fumée, en bruit, en essais inutiles et chimériques. L’économiste doit contempler d’un œil triste toutes ces forces perdues.

Parmi les vertus des itinerant showmen, il en est une que je ne dois point oublier et qui rachète, en partie du moins, les ruses dont ils se servent pour leurrer le public : je parle de leur humanité, il arrive souvent que sur le même champ de foire se rencontrent deux ou trois empereurs des jongleurs, deux ou trois rois des géans, deux ou trois princes des albinos. Ces puissances-là, comme on doit s’y attendre, se font la guerre; mais à peine le temps des exhibitions est-il écoulé que les liens d’une sorte de franc-maçonnerie se rétablissent entre les membres de cette famille plus ou moins étrangère aux habitudes générales de la société. On a vu alors plus d’une fois un showman heureux prêter de l’argent à un confrère dans l’embarras pour que ce dernier retirât ses effets du