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chemin de fer ou des mains de l’hôtelier. Un coureur de foire avare est une exception, rara avis. Dans la localité de Newcastle, tout le monde connaît Billy Purvis, qui n’est pas moins célèbre pour ses talens de violoniste, de danseur et de magicien que pour ses bonnes actions et ses bons mois. Une veuve n’avait pu payer son loyer, et tout ce qu’elle possédait était saisi. M. Purvis se rend à la vente, et achète l’un après l’autre tous les articles; puis alors, au grand étonnement de la pauvre femme, il lui présente le mobilier, n’exigeant d’elle, par manière de jeu, qu’un baiser bien désintéressé. Un autre artiste forain, M. Miller, rencontre un jour sur le chemin de Belford une Irlandaise avec un enfant dans ses bras et un autre qui pleurait en marchant, parce qu’il voulait être porté. Le bon Samaritain songe à sa petite famille, qui va aussi courant par le monde, et il met bravement l’enfant sur son dos.

La vie de l’itinerant showman est une vie à part et semée d’épisodes. Après avoir marché le jour par la pluie ou la neige, il arrive le soir, bien las, bien mouillé, bien transi, dans quelque humble public house. Ces sortes de low lodging-houses, qui se trouvent situées dans les coins obscurs et retirés des villages, sont tenus le plus souvent par d’anciens saltimbanques, qui connaissent le personnel des foires et des courses de chevaux. Une telle manière de vivre n’est d’ailleurs pratiquée, je dois le dire, que par les plus pauvres voyageurs de la profession. L’amour du home est tellement gravé dans le cœur de l’Anglais, qu’il lui faut des pénates, fût-ce même des pénates mouvans. La grande ambition du showman est d’avoir une voiture couverte, sorte de boîte ou de maison roulante dans laquelle il demeure, il couche, il abrite sa famille. Quelquefois cet édifice portatif est construit par l’exhibiteur forain lui-même, et l’on devine, en pareil cas, quelle singulière figure présente aux yeux à masse tremblante et informe du véhicule. Souvent encore les chariots vivans, comme on les appelle (living wagons), se transmettent de main en main, de génération en génération. Il suffit alors de reboucher les trous, de repeindre les parois, et d’accommoder à la convenance des personnes ces fourgons, qui ont servi parfois à loger des bêtes sauvages. Enfin quelques showmen heureux possèdent des habitations neuves et élégantes, assises sur des roues, et qui voyagent de ville en ville. Si bon marché que soit, dans certaines conditions, l’établissement d’un tel moyen de transport, tout le monde n’arrive point à se le procurer, tandis que d’autres voyageurs forains qui avaient conquis cette position si enviée la perdent par divers accidens. Il ne suffit d’ailleurs point d’avoir une voiture, il faut un animal quelconque pour la traîner. Un itinerant showman me racontait ainsi ses infortunes : « J’ai eu autrefois un cheval ;