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opérations primitives encore en usage dans les Indes-Orientales. Qu’on imagine des presses formées de deux cylindres en bois munis chacun à l’un de ses bouts d’un moulinet qu’un Indien fait lentement tourner ; un troisième travailleur apporte les cannes ; un quatrième les engage entre les cylindres ; un cinquième les reprend ; un sixième les étend sur le sol pour les faire dessécher ; un septième puise dans un petit récipient le jus au fur et à mesure qu’il s’écoule et le transporte à la galère, où vingt, souvent même trente marmites chauffées par la flamme de la bagasse sont desservies par trois autres ouvriers. Deux Indiens dirigent la cristallisation confuse et l’égouttage du sucre, en sorte que douze hommes sont occupés à ces manipulations grossières qui fournissent en petites masses un sucre brut en menus cristaux rendus visqueux par la mélasse interposée. Parfois à l’aide d’un terrage ces sucres sont incomplètement blanchis, et nous arrivent sous la dénomination de sucre terré de l’Inde. On ne peut cependant passer sous silence cette industrie stationnaire, qui ne tire encore de la canne que de 40 à 45 de jus sur 90 qu’elle renferme, et n’extrait de ce jusqu’à peine 3 parties de sucre sur les 8 qu’il contient, car jusqu’à ces derniers temps les sucres bruts et terrés de l’Inde, malgré l’excessif travail qui les produisait, revenaient à bien meilleur marché que les produits similaires de toutes les autres parties du monde, et paraissaient menacer l’industrie saccharine des différentes nations d’une insurmontable concurrence, lorsqu’on voudrait étendre à ses produits la liberté du commerce. Pour démontrer qu’une telle concurrence ne serait pas sans doute aussi redoutable qu’on le pourrait croire, il nous suffira d’indiquer l’instabilité des bases sur lesquelles ce bon marché extraordinaire repose. C’est que la journée de six travailleurs dans une de ces anciennes sucreries de l’Inde coûte moins que le travail d’un seul de nos ouvriers intelligens, et ce bas prix de la main-d’œuvre tient lui-même aux habitudes d’une population qui ne connaît d’autre nourriture que le riz à l’eau assaisonné avec les débris desséchés de poissons à l’odeur nauséabonde, ou quelques racines fades que la terre fournit gratuitement.

Un tel état de choses ne peut cependant pas toujours durer : les changemens que depuis longues années on devait prévoir seront hâtés sans doute soit par les graves événemens qui agitent l’Inde en ce moment, soit par les immigrations considérables des coolies, appelés dans les colonies des puissances européennes pour suppléer au travail presque nul des esclaves mis en liberté. Ces circonstances nouvelles, mettant de toutes parts les populations de l’Inde en contact avec les peuples civilisés, leur feront bientôt connaître et partager des goûts de bien-être qui deviendront pour eux de véritables