Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/195

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

table force, Condé s’en alla consumer un temps précieux dans un dédale d’intrigues pour lesquelles il n’était pas fait, et où il se perdit lui et la fronde.


III.

Il arriva à Paris le 11 avril, et trouva toutes choses dans la dernière confusion. Il s’appliqua à ménager et à caresser la vanité ombrageuse de Monsieur, lui prodiguant toute sorte de déférences et ayant bien soin de garder partout le second rang. Le lendemain, il se rendit au parlement, et quoique le président Bailleul, qui remplaçait Mathieu Mole, lui fût ouvertement contraire, loin de se laisser aller à ses emportemens ordinaires, il eut l’air d’approuver les sentimens de la compagnie pour le roi et pour la paix, et déclara qu’il n’avait d’autre prétention que de servir le parlement et de faire exécuter ses arrêts, c’est-à-dire d’obtenir la sortie de Mazarin du royaume. Sur ce point seul il se montra inflexible. Il tint le même langage à la cour des comptes et à la cour des aides. On lui témoignait les plus grands respects ; mais il ne lui était pas difficile de reconnaître que les temps étaient bien changés, qu’on était las de la guerre, et qu’on souhaitait la paix. Le président Bailleul avait exprimé sa douleur de voir un prince du sang royal les mains teintes du sang des sujets du roi[1]. À la cour des comptes, le premier président, Nicolaï, avait conjuré Monsieur de s’entremettre pour un accommodement pacifique[2]. À la cour des aides, le premier président, Amelot, s’était plaint hautement[3] qu’il semblât y avoir un traité avec l’Espagne, puisque c’était avec des deniers espagnols qu’on payait les nouvelles recrues. Condé faisait-il battre le tambour pour rassembler la milice bourgeoise, on demandait au nom de qui battait le tambour, et on se plaignait qu’on usurpât l’autorité royale. Évidemment il fallait prendre un parti, ou traiter avec la cour à des conditions acceptables, ou ranimer la fronde et pousser vivement Mazarin. Les perpétuelles hésitations de Monsieur étaient un obstacle à tout. Condé ne savait ni comment se servir du duc d’Orléans, ni comment s’en passer. À moins de se résoudre à se faire lui-même le chef du parti, il fallait bien, pour conserver une ombre de légalité, précisément parce qu’il tirait l’épée contre le roi, respecter le lieutenant-général du royaume. Il lui

  1. Journal ou Histoire du temps présent, contenant toutes les déclarations du roi vérifiées en parlement et tous les arrêts rendus, les chambres assemblées, pour les affaires publiques, depuis le mois d’avril 1651 jusqu’en juin 1652. — Séance du 12 avril, p. 202.
  2. Ibid., p. 290.
  3. Conrart donne le discours même du premier président Amelot et toute la scène. Mémoires de Conrart dans la collection Petitot, t. XLVIII, p. 53 et suiv.