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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/196

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faisait donc une cour assidue, mais sans rien gagner sur ce prince égoïste, vain et pusillanime, qui, au lieu d’être touché de la fidélité de Condé et d’y répondre par la sienne, plus il était forcé de reconnaître ses grandes qualités, plus en secret il en était jaloux, et dans son dépit prêtait l’oreille aux perfides suggestions de Retz.

Condé, il est vrai, avait bien des appuis au Luxembourg. La duchesse d’Orléans, cette belle Marguerite de Lorraine que Gaston avait épousée à Bruxelles malgré Louis XIII, n’était pas sans pouvoir sur lui, et elle l’animait contre le successeur de Richelieu. Au mois de janvier 1652, elle avait réussi à faire conclure un traité entre Monsieur, Condé et le duc Charles de Lorraine : elle l’avait signé au nom de son frère, et le comte de Fiesque au nom de Condé. De son côté, Mademoiselle, un peu fantasque, mais loyale et courageuse, s’était jointe à sa belle-mère, et elle était déclarée pour la guerre, moitié par goût de l’éclat et du bruit, pour parader à la tête des troupes avec ses deux dames d’honneur, la comtesse de Frontenac et la comtesse de Fiesque, transformées en aides de camp, moitié par l’espoir secret que dans la défaite de Mazarin et dans le triomphe de son père elle parviendrait à épouser le jeune roi et à échanger le casque de la fronde pour la couronne de France[1]. Madame et Mademoiselle, fidèles à la parole donnée, parlaient à Monsieur le langage de l’honneur; mais Retz, s’adressant à ses mauvais instincts, était bien plus sûr d’être écouté. Il fomentait ses soupçons jaloux par le récit envenimé des traits de hauteur qui échappaient à Condé; il flattait le goût du repos qui renaissait bien vite dans le cœur de Monsieur après quelques agitations et à la vue du péril; il l’engageait à ne se pas sacrifier pour Condé, et à traiter sans lui avec la reine, puisque la reine repoussait absolument cet impérieux personnage. En même temps il lui faisait voir que Mazarin maintenu à la tête des affaires était un triomphe remporté sur lui et une humiliation insupportable. En un mot, il le poussait par où il penchait, marchant lui-même à ses propres fins sous le masque d’un faux dévouement. En vain La Rochefoucauld, Rohan, Nemours, et les autres amis de Condé le combattaient-ils de toutes leurs forces : Retz, en fait d’intrigues et de complots, leur était bien supérieur. Il était à Paris sur son vrai champ de bataille, manœuvrant avec un art consommé dans les sens les plus différens, et toujours vers le même but, la perte de Condé. Il excitait aisément contre lui le parti royaliste, et le minait chaque jour dans le parlement et dans les autres cours, en laissant entendre que Monsieur n’était pas si intimement uni qu’on le pouvait croire à M. Le Prince. Il avait aussi conservé ses vieilles intel-

  1. Voyez le portrait de Mademoiselle en Pallas, le casque en tête, si admirablement gravé par Poilly.