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encore, Mazarin commit à son tour de grandes fautes. Sans exercer sur le parlement une autorité aussi dure que Richelieu, il ne le ménagea pas assez, il ne sentit pas assez la nécessité d’enlever à une aristocratie factieuse l’appui d’un corps en possession d’une vieille et légitime influence. Tout occupé de ses grands desseins, passant les jours et les nuits en continuels travaux pour fortifier notre flotte de la Méditerranée, entretenir nos cinq armées d’Italie, de Catalogne, de Lorraine, d’Allemagne et de Flandre, et préparer des victoires nécessaires à la conquête de la paix, il n’aperçut pas la conspiration qui se formait contre lui sur les bancs mêmes du parlement, et pressé par d’impérieux besoins d’argent, il eut trop souvent recours à des créations de nouveaux offices. L’origine de la fronde et des premiers troubles qui éclatèrent à Paris est un édit du surintendant des finances d’Hémery, instituant dix nouvelles places de maîtres des requêtes. Le 8 janvier 1648, les autres maîtres des requêtes réclamèrent, et ils allèrent jusqu’à refuser de faire leur service accoutumé, comme au moyen âge l’église et l’université, au moindre grief, suspendaient l’enseignement public et l’office divin. De même en 1648 les maîtres des requêtes considéraient tellement leurs charges comme leur appartenant en propre qu’ils croyaient pouvoir à leur gré les exercer ou ne les exercer pas. Mandés et sévèrement admonestés par la reine, leur ressentiment n’en devint que plus vif. Le parlement épousa leur cause, et le nouvel édit ne fut enregistré qu’au moyen de la mesure extraordinaire d’un lit de justice. Par-dessus tout diplomate et militaire, Mazarin ne devina pas les orages qui pouvaient sortir d’un conflit du gouvernement avec une compagnie très puissante dans Paris; il ne vit pas derrière elle ses éternels ennemis, les anciens importans, contenus, mais non pas détruits, et qui n’attendaient qu’un prétexte et une occasion pour renouer leurs trames et entreprendre de le renverser à tout prix, aux dépens du repos et de l’honneur de la France, en prenant tous les masques, en parlant tous les langages, en s’appuyant tour à tour sur le parlement et sur la populace, en invoquant au besoin l’or et l’épée de l’étranger. Mazarin manqua ici de prévoyance. A la première résistance du parlement il fit arrêter le vieux président Broussel, comme cinq ans auparavant il avait fait arrêter Barillon; mais la ligue qui s’était formée contre lui n’était pas aisée à désarmer, et ayant envoyé presque toutes les troupes disponibles à la frontière, il se trouva dans Paris hors d’état de faire tête aux frondeurs, qui, à mesure qu’ils voyaient sa faiblesse, s’enhardissaient de plus en plus et se montraient à découvert, en sorte que la glorieuse journée de Lens se rencontra presque avec la triste journée des barricades.