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Pompadour qu’il avait passé du service de Louis XV à celui de Frédéric V. Pour faire face aux énormes dépenses occasionnées par ce nouvel état de choses, le gouvernement danois dut partout lever des impôts extraordinaires, et bientôt même, cette mesure ne suffisant plus, on le vit dans la nécessité de s’adresser à l’opulente ville de Hambourg pour un emprunt d’un million d’écus. Le sénat toutefois fit la sourde oreille, et, comme les armées n’ont été inventées qu’à cette fin de procurer aux gouvernemens un moyen d’enlever par la force ce qu’on se refusait à leur donner de bonne grâce, dix mille hommes de vaillantes troupes apparurent le 16 juin devant la cité marchande, sous la conduite du prince Emile de Holstein-Augustenbourg, et soudain l’ouïe fut rendue par miracle aux sérénissimes banquiers, qui s’exécutèrent fort galamment.

On comprendra cependant qu’une telle situation eût de quoi semer l’alarme dans le voisinage; Lubeck n’était point rassurée, tant s’en faut. Sans doute les Danois n’avaient point encore visité la ville; mais le comte de Saint-Germain campait à peu de distance, et tout donnait à supposer que le besoin de couper les communications avec la Russie amènerait un jour ou l’autre l’occupation. Grande était donc la perplexité de l’aréopage lubeckois, ne voulant pour rien au monde se compromettre aux yeux du roi de Prusse, qu’il ne fallait pas avoir pour ennemi, et porté néanmoins à se concilier de son mieux les ménagemens du gouvernement danois et du comte de Saint-Germain.

Chasot avait son rôle tout tracé. Gouverneur militaire de la ville, il pourvut habilement à la défense, et tout en faisant ce que lui commandait son métier de soldat, il sut pourtant s’arranger de manière à éviter de la part de l’armée danoise une agression qui, en dépit de la plus héroïque résistance, n’aurait pu tourner qu’à la ruine entière de Lubeck. Le comte de Saint-Germain et lui se connaissaient de longue date. Entre Français, gens d’épée et de qualité, il y a toujours moyen de s’entendre; tous deux étaient du même monde et parlaient la même langue. Il y eut donc mutuel accord pour ajourner la collision. Notez qu’on était alors dans l’été de 1762, et que de bien graves événemens se préparaient à Pétersbourg. Le 9 juillet, l’empereur Pierre III, détrôné par son épouse Catherine, était conduit à la résidence de Krasnoe-Selo, où huit jours après il rendait l’âme. Dès lors, toute cause d’inimitié disparaissait entre la Russie et le Danemark, et la jeune souveraine, coupant court aux excentricités du défunt monarque, ordonnait à ses troupes d’évacuer sur-le-champ l’Allemagne. En même temps l’armée danoise quittait les plaines du Mecklembourg, et le comte de Saint-Germain n’était pas plus tôt de retour à Copenhague, qu’il faisait envoyer à Chasot,