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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/451

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comment il profita des événemens de 1848 pour lever contre les Magyars l’étendard tricolore. Soixante mille Roumains, armés de haches et de faux, se rassemblèrent à Blajium, au « champ de la liberté. » Après cette réunion solennelle, Ianko, persuadé que la lutte était imminente, se retrancha dans ses montagnes natales, près d’Abrud-Banya. Bientôt le « pays des mines » devint le centre d’une insurrection nationale. En vain le célèbre Bem, après avoir repoussé les Autrichiens et les Russes, après avoir soumis aux Magyars la Transylvanie entière, essaya-t-il de forcer Ianko dans la retraite ou il bravait l’ennemi, partout triomphant. Le major Hatvany, envoyé contre lui avec trois mille hommes, fut complètement battu. Dans une seconde affaire, deux mille de ces cavaliers dont les Magyars sont avec raison si fiers restèrent, sauf quatre-vingts, sur le champ de bataille. Kemeny Forkos ne fut pas plus heureux que Hatvany. Ianko harcelait ses troupes, et ne lui laissait pas une heure de repos. Lorsque les Roumains, pareils à l’avalanche, descendirent de leurs montagnes, l’air menaçant et la pique en avant, on eût cru voir les légionnaires de Rome se précipitant sur les farouches soldats d’Attila. On sait par quelles fautes les Magyars succombèrent. Lorsque l’intervention russe, conséquence naturelle de ces fautes et d’une haine insensée contre les Roumains et les Slaves du sud, eut amené leur défaite, Ianko, qui croyait à la reconnaissance des empereurs apostoliques, réclama en vain ces institutions nationales pour lesquelles il avait combattu. L’Autriche lui offrit ironiquement des décorations et des récompenses. Le « roi des montagnes, » indigné d’une pareille déloyauté, se retira dans les solitudes, théâtre de ses triomphes, en protestant contre l’astucieuse politique dont il ne s’était point assez défié.

J’ai cru devoir insister sur ces faits pour démontrer que nos poètes populaires n’ont pas tort d’attribuer à la nation roumaine, considérée dans son ensemble, un esprit militaire qui n’attend que des circonstances favorables pour se réveiller dans les parties de la Roumanie où il semble le plus endormi. S’il a fallu quatre siècles aux Hellènes pour se préparer aux immortels combats de 1821, faut-il s’étonner des hésitations et des fautes d’un peuple qui renaît à peine à la vie politique?


II.

Les chants populaires de la Roumanie ne contiennent pas seulement une curieuse appréciation de l’histoire des populations roumaines : on y trouve encore une peinture très exacte du caractère et des tendances des Latins du Danube.