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« Allons, Sam, s’écrie-t-il, s’il faut aller délivrer la Grèce, montrons que quelques gouttes d’eau ne nous font pas peur ! » La pluie cependant les trempa bel et bien jusqu’aux os, et refroidit leur ardeur belliqueuse. « Je crains bien, disait Douglas Jerrold quelques années plus tard, je crains bien que cette pluie-là n’ait emporté, comme une peinture en détrempe, notre pihilhellénie encore trop fraîche. » En revanche, Laman Blanchard et lui restèrent fidèles à Byron… »


À Byron cependant un peu moins qu’à la liberté, on le verra plus tard. En revanche les deux amis se restèrent également fidèles l’un à l’autre, et les lettres, imprimées en petit nombre, qui attestent la durée de cette liaison étonnent, surtout celles de Laman Blanchard, par leur caractère sérieux, pénétré, presque solennel. Ce sont pourtant là deux hommes d’esprit, deux journalistes, deux vaudevillistes. Ils gagnent leur vie à ce jeu terrible de l’esprit quotidien, de l’épigramme obligée, de la gaieté sur commande, qui semble devoir, à la longue, transformer l’intelligence la plus virile en je ne sais quel gaz phosphorescent et malsain, émousser la sensibilité la plus vive, oblitérer la raison la plus solide. De tout cela rien n’arrive, grâce sans doute à cette force propre de l’individualité anglaise, qui, soit dans le bien, soit dans le mal, reste elle-même et se soustrait aux influences du dehors. Plus malléables de ce côté de la Manche et plus logiques aussi, nous subissons plus généralement le joug des circonstances, les exigences professionnelles, l’action du milieu ambiant où le sort nous place. Parmi les satiriques du petit journal, cherchez un lecteur assidu de l’Écriture sainte et de Corneille ; demandez aux vaudevillistes de profession s’ils ont à vous citer chez eux bon nombre de ces fortes et solides amitiés, fondées sur une estime réciproque, cimentées par un dévouement à toute épreuve. Celles-là d’ailleurs sont assez rares partout. Plus rarement encore, quand elles existent, admettent-elles un tiers aux charges et bénéfices du contrat tacite qu’elles ont établi. Il en survint un pourtant, amené par le hasard, et que nos deux jeunes écrivains accueillirent à bras ouverts. C’était Kenny Meadows, un des derniers noms que la caricature ait illustrés chez nos voisins.

Laman Blanchard, mieux patroné que Douglas Jerrold, et arrivé plus tôt aux conditions d’une existence à peu près stable et garantie, se maria le premier. En 1824, à vingt et un ans par conséquent, son ami crut aussi pouvoir, sans trop d’imprudence, aborder la redoutable épreuve du mariage. Il épousa la fille d’un employé des postes. Mary Swann vint vivre avec lui, d’une existence étroite et précaire, dans la petite maison d’Holborn, qui abritait déjà, outre la mère et les sœurs de Douglas, une femme qui, tout enfant, lui avait prodigué les plus tendres soins. C’est au milieu de ce groupe d’êtres