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de chambellan, et surtout de chambellan d’une idée nouvelle, exige un talent particulier. Le monde officiel, je parle toujours du monde des idées, est guindé, cérémonieux, exclusif. Quand une idée nouvelle y arrive, elle risque d’y paraître ce que paraissaient à sir Edward Giffard les sénateurs ioniens au dîner du lord haut-commissaire, c’est- à-dire de n’y pas sembler à sa place. — Mais, direz-vous, les idées nouvelles n’entrent dans ce monde-là qu’en forçant la porte. — Non, ne croyez pas cela, à moins que vous ne vouliez passer pour être tout à fait un rêveur et même un homme de mauvaise compagnie. Les idées ont besoin d’un introducteur titré, d’un diplomate, d’un ministre, d’un ambassadeur; le savoir-vivre pour elles est donc de laisser leur père à la porte, d’entrer avec leur parrain, de le remercier et de le présenter au public, qui le bénira. Si le père gronde et murmure, encore un coup c’est un sot vaniteux qui aime mieux le succès de sa personne que de son idée, et qui ne comprend rien au public, lequel même de nos jours a gardé encore une des vertus les plus conservatrices de ce monde, la foi aux enseignes.


IV.

La théorie de l’abandon volontaire des Iles-Ioniennes sera-t-elle un jour adoptée et pratiquée par l’Angleterre? Quand, après la publication indiscrète des dépêches de sir John Young, M. Gladstone accepta la mission que lui confiait le ministère anglais et qu’il arriva à Corfou, beaucoup de personnes crurent qu’il allait traiter avec les Ioniens de la question de l’annexion des îles au royaume de Grèce. Les choses en ce monde ne vont pas si vite. L’Angleterre n’est pas encore persuadée qu’il soit de son intérêt d’abandonner à la Grèce les Iles-Ioniennes. M. Gladstone n’était donc point chargé de traiter avec les Iles-Ioniennes la question nationale, mais la question libérale, qui est toute différente de la question nationale, et dont nous devons dire un mot. On sait que le premier lord haut-commissaire anglais, sir Thomas Maitland, fit voter en 1817, par une assemblée composée de quarante notables des Sept-Iles, une constitution que nous ne voulons pas examiner en détail, mais dont le caractère général est que l’autorité du lord haut-commissaire est décisive et presque illimitée. Il y a bien, il est vrai, à côté du lord haut-commissaire une assemblée législative et un sénat exécutif; mais aucun acte du sénat exécutif n’est valable qu’avec l’approbation du haut-commissaire, aucune loi non plus ne peut être exécutée qu’après avoir été sanctionnée par le gouvernement anglais : d’où il résulte, si je ne me trompe, qu’entre le régime des colonies anglaises ayant des chambres délibératives, mais subordonnées en dernier ressort à la souveraineté du gouvernement ou du parle-