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sées sont utilisées les premières, et qu’à défaut des sols de premier choix, on met en culture des terrains dont la richesse naturelle est moindre. Il est de la même évidence que si l’on veut augmenter les ressources alimentaires, non par l’extension des cultures, mais en y appliquant plus de soins et de dépenses, les récoltes n’augmenteront pas dans la proportion du capital engagé : la progression sera décroissante; il arrivera même un moment où la multiplication du capital ne multiplierait pas le produit[1]. Or les derniers venus, produisant plus chèrement que par le passé, sont obligés de vendre plus cher. Les anciens producteurs profitent de la plus-value. Ce résultat est tellement nécessaire, qu’il se reproduit dans l’industrie manufacturière. Cent fabriques qui fournissaient une marchandise sont devenues insuffisantes par l’effet d’une population croissante : il y a place pour dix fabriques nouvelles. Si les conditions d’établissement pour celles-ci sont telles qu’elles ne peuvent produire au même prix que les autres, et si néanmoins leur fabrication trouve des acheteurs, il y aura une hausse de prix correspondante sur toutes les marchandises de même espèce, car, la demande balançant l’offre, aucun marchand ne donne pour 10 ce que son voisin peut vendre 12.

Voilà les faits tels qu’ils ressortent de la subtile et rigoureuse analyse de Ricardo, et je ne crois pas qu’il soit possible de les contester. Dans cette fameuse loi de la rente, le fait essentiel et de nature à frapper l’observateur par son évidence est donc un phénomène agissant sur la formation des prix, et qui pourrait être ainsi formulé : « Tant que l’offre d’un produit ne dépasse pas les besoins, le prix de cet article est réglé par la dépense du producteur qui travaille le plus chèrement. »

La loi de la rente (je lui conserve ce nom malencontreux pour me conformer à l’usage) est d’ailleurs en corrélation avec une autre loi, celle des débouchés[2], qui agit en sens contraire et tend à en amoindrir les mauvais effets. Si l’une détermine la progression inévitable des prix sous l’influence d’une population croissante, l’autre montre les débouchés devenant plus nombreux au sein d’une population qui s’agglomère. A mesure que les produits trouvent plus d’acheteurs, la division du travail s’opère naturellement. Chacun se restreint à la spécialité la plus conforme à ses aptitudes, s’y ap-

  1. Supposons une terre sur laquelle on dépense ordinairement 100 francs pour obtenir 10 mesures de blé. Si vous y appliquez 200, 300, 400 francs, vous n’obtiendrez pas 20, 30, 40 mesures. A chaque avance plus forte, la proportion de la récolte faiblira. Elle sera peut-être de 15, de 18, de 20 mesures, et dans cette hypothèse la mesure de blé, qui coûtait 10 francs à l’origine, aura pour prix de revient 13, 16 et 20 francs.
  2. Encore un mauvais nom qui ne correspond pas à l’ampleur de l’idée. On s’entendra un jour, je l’espère, pour changer les dénominations.