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litiques, religieuses, administratives, policières, imaginées depuis qu’il y a des sociétés humaines pour que celui-ci profite plus ou moins du travail de celui-là? Au contraire, dans l’hypothèse d’une distribution où rien ne gênerait la liberté des contractans, tout devient normal et rationnel; les aptitudes et les efforts s’enchaînent, s’équilibrent, s’harmonisent comme par enchantement.

Qu’on admette, comme une vérité incontestable, que toute créature humaine apporte en naissant le désir du bien-être et la crainte du mal physique, et que chacun cherche à satisfaire ses besoins réels ou factices au prix du moindre travail possible : avec cet axiome, on possédera le moteur qui va mettre en mouvement les rouages si compliqués de l’industrie humaine. Deux hommes, appliquant leur activité à des travaux différens, ne tarderont pas à échanger leurs produits, parce qu’ils obtiendront plus de jouissance avec moins d’efforts au moyen de cette division instinctive du travail. De nouveaux producteurs, apportant des objets similaires sur le marché, y provoquent la concurrence. A mesure que le nombre des concurrens augmente, la lutte entre les échangistes devient moins fatale, moins influencée par les instincts égoïstes; elle se rapproche davantage de la stricte justice : l’individu enclin à abuser de sa supériorité rencontre plus d’obstacles pour faire la loi.

On pourrait dire à la rigueur que tout dans le monde aboutit à des produits commerciaux : une marchandise n’est pas autre chose qu’une collection de services matérialisés et passés à l’état d’objet vendable. L’échange des produits contre les services présens ou futurs est donc subordonné aux mêmes lois que l’échange direct (autrement dit achat-vente) des marchandises matérielles. Bref, comme l’oscillation du pendule qui organise toute la vie en mesurant le temps, cette étoffe dont la vie est faite, le simple balancement de l’offre et de la demande est destiné à régler, pour le bien de tous, les transactions si prodigieusement diversifiées auxquelles peuvent donner lieu la spéculation commerciale, le crédit, le placement des capitaux, la solde des fonctions utiles, depuis celles qui exigent une haute intelligence jusqu’à l’humble labeur du manœuvre. Ce même instinct qui pousse chacun à se procurer le plus de bien-être possible avec le moins de travail engendre aussi le progrès industriel. L’individu qui ne se trouve pas suffisamment rémunéré par l’offre qui lui est faite s’applique à perfectionner ses moyens de fabrication, ou à se classer dans une industrie plus lucrative, ou bien encore il tâche d’échapper à la concurrence en inventant des articles nouveaux. La société, prise dans son ensemble, profite de cette émulation et s’épanouit dans la jouissance des besoins satisfaits. Considéré à ce point de vue, le monde apparaît comme une