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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/590

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abolir les auto-da-fé. De bonne heure il avait été tourmenté par la bile. Il avait de fréquens accès de fièvre. Sa croissance avait été arrêtée, et peu de personnes croyaient qu’il pût arriver à l’âge d’homme. Le duc d’Oñate possède un portrait de don Carlos peint par Sancho Coello ou dans son école. Au point de vue de l’art, c’est un ouvrage médiocre, mais il est évident qu’il a été fait d’après nature, et il est permis de le croire ressemblant, à la façon dont il est étudié. A vrai dire, le principal défaut, c’est l’exécution trop minutieuse de toutes les parties, et la vérité des accessoires est une présomption en faveur de la ressemblance du personnage. Ce qui frappe d’abord, c’est la triste tournure du modèle, ses épaules voûtées, sa tête penchée en avant et son expression mélancolique. Le teint est pâle, les yeux morts, toute l’habitude du corps dénote un être maladif. Strada dit qu’il avait une épaule plus haute que l’autre et qu’il boitait, humero clatior et tibia altera longiore erat. Pour surcroît, à l’âge de seize ans, il tomba sur la tête en trébuchant dans un escalier, et il fallut le trépaner, opération toujours assez délicate, et qui l’était encore plus pour les chirurgiens de ce temps. Il fut longtemps entre la vie et la mort, jusqu’à ce qu’on s’avisât de lui apporter des reliques d’un frère Diego, mort un siècle auparavant en odeur de sainteté. C’est ce moine qu’on voit aujourd’hui au musée du Louvre, peint par Murillo au moment où il est soulevé de terre par la ferveur de sa prière, tandis que des anges font la cuisine à sa place, car il était le cuisinier de son couvent. Le saint apparut la nuit au malade et lui annonça sa guérison. Par jalousie de métier, le médecin du prince prétendit s’en attribuer l’honneur, mais on ne l’écouta guère. Fray Diego pour ce fait fut canonisé. Malheureusement don Carlos n’en devint pas plus sage. « Il aimoit fort à ribler le pavé, dit Branthôme, et faire querelles à coups d’épée, fust de jour, fust de nuit, car il avoit avecque luy dix ou douze enfans d’honneur des plus grandes maisons d’Espaigne, les uns les forçant d’aller avecque luy et en faire de mesme, d’autres y allans d’eux-mesmes de très-bon cœur... Quand il alloit par les rues quelque belle dame, et fust-elle des plus grandes du pays, il la prenoit et la baisoit par force devant tout le monde. Il l’appelloit bagasse, chienne, et force autres injures leur disoit-il... » Je suis obligé d’abréger la citation. Les querelles à coups d’épée dans la rue étaient alors fort communes en Espagne, et les comédies de Lope de Vega et de Calderon en font foi. De mon temps, en Andalousie, les jeunes gens qui donnaient des sérénades la nuit interdisaient l’entrée de la rue où demeurait leur maîtresse, et rossaient les téméraires qui osaient vouloir rentrer chez eux malgré la consigne. Quant aux autres divertissemens de son altesse, ils devaient sem-