Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/737

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tait guère, et à toutes mes raisons il répondait : — Je le tuerai!

Je courus prévenir le docteur D..., qui donna des ordres sévères pour qu’on surveillât Fabio; il fit retirer les couteaux et tous les instrumens dont il eût pu se blesser. La journée et la nuit se passèrent tranquillement.

Le lendemain matin, Fabio se plaignit avec amertume des mesures qu’on avait prises à son égard, et déclara que son intention était de quitter la maison du docteur, puisqu’il y était traité comme un homme dangereux. Je passai une heure avec lui, marchant dans le jardin à ses côtés, tâchant de le calmer et de le faire revenir sur sa résolution. Il était fort paisible et évidemment maître de lui.

— Vous avez raison, me dit-il en me quittant; mon projet était coupable, et je n’y pense plus.

Le soir de ce jour, c’était le li octobre, je n’ai pas oublié la date, le docteur et moi nous nous préparions à sortir ; l’Angelus sonnait à un monastère voisin, je me le rappelle, lorsque Giovanni se précipita dans le salon :

— Vite! vite! cria-t-il. Il est mort!... Un coup de couteau ! Vite! Ah ! quel désastre !... Vite ! venez vite !...

Nous courûmes d’une haleine jusqu’au pavillon qu’habitait Fabio... Il n’était plus temps. Tout était fini. Nous trouvâmes le malheureux couché par terre, les bras en croix, les lèvres teintes d’une écume sanglante et la poitrine ouverte. Un long couteau de cuisine, tombé à ses côtés, indiquait assez comment il était mort. Il avait fallu une résolution terrible pour se tuer ainsi : le coup avait été porté droit, d’un seul jet; la lame avait pénétré entre la quatrième et la cinquième côte; le cœur était frappé, la mort avait dû être foudroyante.

Giovanni ne savait rien; il avait entendu le bruit du corps qui s’abattait, et il était accouru. On se rappela que, dans la journée, on avait vu Fabio rôder autour des cuisines. Avec cette adresse et cette dissimulation sans égales que les fous savent employer à l’accomplissement de leur projets, il avait sans doute dérobé un couteau pendant qu’on ne l’observait pas, et il s’en était servi pour se jeter hors de la vie en croyant frapper Lélio.

Il fut enterré à Monte-Olivetto avec toute la pompe qu’exigeaient son nom et sa fortune. Cet événement nous avait profondément attristés. Giovanni, inconsolable, tournait dans la maison comme un chien qui a perdu son maître; il attendait pour partir je ne sais quel papier important que l’insouciante lenteur des administrations italiennes ne se pressait pas de lui délivrer.

Huit jours après ce malheur, le docteur et moi nous finissions de déjeuner, et Giovanni, assis dans un coin, à une table, vérifiait des