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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/787

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le calme du port, assez robustes pour braver toutes les tempêtes. La brise du soir murmurait doucement à travers les cordages, et ce bruit cher au marin, comme l’est au bûcheron le frémissement des feuilles de la forêt, faisait battre le cœur de Jean-Marie. Le désir des longs voyages s’emparait de lui irrésistiblement; il allait d’un pas lent et mesuré, sans songer qu’il foulait la terre.

— Enfin je vous trouve, monsieur Domeneuc, lui dit une voix qu’il reconnut pour être celle du jeune homme qu’il avait retiré de l’eau; venez par ici, j’ai quelque chose à vous offrir.

Jean-Marie crut qu’il s’agissait d’entrer dans un café voisin et d’y prendre un rafraîchissement. Il se hâta d’endosser sa veste; mais au lieu de le conduire dans un estaminet fumeux, le jeune homme le fit asseoir sur un des bancs de la promenade située au-dessous du rempart, le long du quai.

— Voyons, monsieur Domeneuc, que faisiez-vous là à vous promener comme un philosophe?

— Je songeais à quitter le pays, à vendre mon sloop, qui n’en peut plus, et à m’embarquer pour les voyages de long cours... Le commerce ne va pas, mon cher monsieur; j’ai de la misère... et du chagrin!... L’autre jour que vous plongiez sous l’eau, la tête en bas, j’aurais presque voulu être à votre place. C’est une mauvaise pensée, n’est-ce pas?... Que voulez-vous? Quand on est pauvre, on a des momens de désespoir...

— Du courage, mon ami, du courage; vous êtes jeune, et vous pouvez avoir des jours meilleurs. Vendez votre sloop, s’il est hors d’état de servir; mais, au lieu de vous embarquer à bord de quelque navire qui vous emmènerait loin d’ici, prenez ce papier... Nous partons demain pour retourner à Paris, ma mère et moi; adieu, monsieur Domeneuc, nous ne vous oublierons jamais, pensez quelquefois à nous...

Le papier que Jean-Marie reçut machinalement de la main du jeune homme était le contrat de vente qui lui assurait la possession de la bisquine. Il le serra dans sa poche et retourna à bord de son sloop sans se douter du cadeau qu’il venait d’accepter. Le jour suivant, au moment où le postillon enfourchant ses chevaux entraînait sur la route de Paris la comtesse et son fils, comfortablement assis dans leur chaise de poste, Jean-Marie voyait accourir vers lui le long de la cale son mousse tout essoufflé.

— Patron, dit l’enfant, vous avez donc acheté une bisquine?...

— En conscience je n’en sais rien, répondit Jean-Marie: mais je commence à le croire, car c’est écrit tout au long sur le papier timbré que voici... Il faut pourtant que ces gens-là soient joliment riches! Ils avaient bien dit que j’aurais de leurs nouvelles!...