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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/879

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se cachaient sous ce luxe factice de désintéressement et d’humilité; mais elle l’aimait encore, et jamais il ne l’avait trouvée si belle. Il passa la soirée à ses genoux, couvrant ses mains de baisers à ramener la vie chez une morte, versant des pleurs qu’il est presque impie de répandre, tant la source en est profonde et sacrée. Quand il quitta ce jardin, où il pensait ne plus revenir, il adressa un regard plein de désespoir aux étoiles, et se demanda si dans ce pays de visions antiques un ange ne venait pas de le quitter.

Le lendemain au soir, après avoir vainement essayé de se lasser en courant toute la journée à cheval sous un soleil à faire fondre les plus dures cervelles, il était chez lui; il s’était couché sur le divan où elle avait tant de fois reposé. Il regardait tout ce qui l’entourait avec cette douloureuse stupeur, cette cruelle indignation que nous causent les lieux à qui nous demandons vainement quelque chère existence dont ils étaient naguère animés. Puis mille projets fous se présentaient à sa pensée ; il avait envie de monter à cheval, d’assembler ses hommes d’armes, d’aller brûler la maison de son rival et enlever celle qu’il aimait. Pour donner à son amour un triomphe sanglant de quelques heures, il se disait qu’il se jetterait avec joie dans les plus terribles et les plus extravagantes aventures. Ainsi s’agitait ce pauvre esprit dans un chaos d’idées tumultueuses et brûlantes, quand un Arabe parut avec une lettre. Fabio reconnut une écriture qui le troubla jusqu’à la défaillance; il parvint pourtant à lire ce billet. Voici ce qu’on lui disait : « L’événement que je redoutais est différé, je suis encore seule, libre, et t’aimant plus que jamais. Viens. »

Au bout de quelques instans, il avait fait la course accoutumée, et il rentrait dans son bonheur comme dans un rêve. Ce que fut cette soirée, chacun peut se l’imaginer en cherchant dans ses souvenirs ces heures pleines de délices et d’anxiété où l’on s’attache par une suprême étreinte à une joie qui nous échappe. Lorsqu’il se retira vers minuit du logis de sa maîtresse, il était sous l’empire de l’ivresse la plus redoutable dont un homme puisse être possédé. Tout ce qui l’entourait du reste était encore de nature à augmenter l’agitation de son âme et la fièvre de son corps. Une atmosphère lourde et enflammée, qui semblait peser sur les arbres et leur donner un engourdissement inquiétant, était soudain traversée par des bouffées rapides de siroco. Ceux qui ont senti ce souffle ardent, qu’on dirait l’émanation invisible de quelque mystérieux incendie, savent dans quel désordre il nous jette. Ce soir-là, Fabio éprouvait une volupté profonde à respirer cet air embrasé. Tout à coup, à quelques pas de la maison, à un endroit où l’allée qu’il parcourait est le plus étroite et bordée des arbres les plus hauts, il se trouva face