penseront comme nous et l’aimeront mieux inconséquent qu’hypocrite. La vérité, c’est qu’Armand Carrel, j’en ai la certitude, à ce moment de sa vie prenait sincèrement goût à la monarchie constitutionnelle. Tant que la charte n’avait été que la fille de Louis XVIII, il avait eu peine à lui pardonner la ressemblance et la prédilection paternelles; mais du moment où elle était devenue l’ennemie de Charles X, elle n’avait plus que des grâces à ses yeux, et aucune gêne ne l’empêchait plus d’en apprécier très justement tous les mérites. Il prenait au contraire un plaisir intelligent à s’expliquer à lui-même l’ingénieuse pondération de cette belle forme de gouvernement, à en démonter et à en faire jouer tous les ressorts devant le public. Il n’était point insensible au plaisir d’être sorti des ténèbres des conspirations pour se trouver au grand jour de la légalité, à côté de tous les hommes distingués qui composaient alors l’opposition constitutionnelle. Seulement la guerre que les uns faisaient avec regret, lui la faisait avec délices : le terrain, l’adversaire, l’armure et le combat, tout lui plaisait également. A aucune époque, son esprit et sa passion ne se trouvèrent plus complètement d’accord, et ne jaillirent de source plus naturellement dans le même sens.
Aussi jamais son talent ne s’épancha avec plus d’abondance. Ses écrits de cette époque ont un caractère, et j’oserai dire un charme tout particulier. C’est généralement l’aisance et la variété qui manquent à la manière d’écrire d’Armand Carrel. Sa phrase, qui fut dès le premier jour nerveuse et savante, est pourtant sèche et hachée; un sentiment toujours vif, mais toujours contenu, communique un peu de contrainte à son expression, et l’amertume constante du ton n’est point exempte de monotonie. Mais nulle part ces défauts ne sont moins sensibles que dans un petit nombre de morceaux de choix qui portent presque tous la date de 1830, et que M. Littré a réunis dans un dernier volume comme pour reposer l’esprit du lecteur de l’âpreté des luttes civiles, et prendre congé de lui sous une impression douce. Là brillent en effet des mérites et presque des grâces qui ne devaient plus se retrouver par la suite sous la même plume. Il y a un éclat inaccoutumé dans la peinture de la vie du soldat faite à propos des mémoires du maréchal Gouvion Saint-Cyr; il y a de l’esprit littéraire le plus délicat dans la critique de l’Hernani de Victor Hugo et de l’Othello de M. de Vigny, et une finesse de touche extrême dans le portrait de Paul-Louis Courier. Une sombre élégie intitulée une Mort volontaire a justement attiré l’admiration d’un maître critique par un mélange très heureux de sensibilité et de force. Le laisser-aller du désespoir qui pousse une âme jeune vers cet abîme de faiblesse morale et cet abus de courage physique qu’on