appelle le suicide, l’angoisse de la délibération suprême, l’effroi de la dernière heure sont peints avec une vivacité qui fait frémir : on entend le coup sec de l’arme, et le froid de la balle pénètre le cœur; mais l’horreur du tableau est tempérée avec un goût exquis juste au point où le frisson de l’âme se changerait en attaque de nerfs. Par un artifice qui ne fut connu que du pinceau des plus grands maîtres, la lumière semble ici sortir du sein même de l’ombre et se jouer à sa surface. Si Carrel, qui n’avait que trente ans alors, n’a plus rien produit depuis cette date qui ait réuni les mérites divers qu’il déployait alors, ce n’est pas seulement que l’ardeur politique lui ait fait négliger le soin de la forme littéraire; c’est aussi qu’à ce moment de sa vie il régnait un équilibre entre ses facultés et une paix dans son âme, véritables conditions du talent, qui, troublées peu de temps après, ne se rétablirent plus. Poursuivant un but parfaitement défini, qui satisfaisait à la fois et l’ardeur irréfléchie de ses sentimens et les vues élevées de son intelligence, en sympathie avec la généralité du public, ayant la France entière pour auditoire au National, il se livrait avec abandon à tous les entraînemens de sa verve, il abordait tous les points de vue et se laissait aller à toutes les inspirations. Plus tard, enfermé dans une coterie un peu étroite dont il avait tout à la fois à exciter l’ardeur, à dissiper les préjugés et à contenir l’explosion, cette diplomatie intérieure absorba la meilleure partie de ses facultés; il ne respira plus à pleine poitrine, et le souffle de son éloquence prit quelque chose de haletant et de gêné qui ne lui permit plus de vibrer avec cette puissance.
D’après les sentimens qui l’animaient alors, on peut juger de ceux que lui causa la révolution de juillet. Elle le trouva engagé dans un petit groupe d’hommes politiques qu’elle satisfaisait pleinement, et qui avaient prévu et désiré l’événement juste dans les proportions où il s’accomplit, ni plus ni moins. Tandis que des légitimistes éperdus se rangeaient derrière le trône nouvellement élevé, comme à l’abri du dernier boulevard de l’ordre; tandis que des républicains l’acceptaient comme une pierre d’attente; tandis que la plus grande partie de la France n’y voyait qu’une réponse énergique faite à un défi que l’honneur avait dû relever; tandis que le nouveau roi lui-même n’acceptait sa grandeur inespérée que comme une nécessité patriotique, les directeurs du National saluèrent le plein accomplissement de leurs espérances dans une secousse qui conservait la monarchie constitutionnelle en les délivrant des gens de 1815. La charte, endossée par de nouveaux auteurs et retrempée par le flot populaire, faisait complètement leur affaire.
Rien n’indique qu’Armand Carrel ait troublé ce concert de joie par la moindre défiance. Le plus pur optimisme reluit au contraire