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dans tout ce qu’il publia pendant les six mois qui suivirent la révolution. Cette confiance n’est troublée ni par les tiraillemens inévitables d’une monarchie à son début, ni par les contre-coups inséparables d’un grand ébranlement révolutionnaire. Rien ne l’émeut, ni les agitations de la classe ouvrière, qui parcourt les rues de la capitale en s’enivrant des souvenirs de sa victoire, ni les souffrances de l’industrie, ni même les ombrages d’anciens conspirateurs de ses amis, qui trouvent déjà que le roi-citoyen n’a point assez complètement oublié qu’il est de famille princière. Il ne craint ni réaction ni révolution nouvelle, et répond sur un ton railleur aux alarmistes de toute nature; il a un-article charmant, intitulé les Révolutionnaires après une Révolution[1], où il plaisante avec une malice infinie ces spéculatifs qui ne voient pas qu’on fait des révolutions pour des intérêts et non pour des théories, et que quand les intérêts sont satisfaits, il faut que les théories prennent patience. Il donne des conseils tout empreints de la meilleure économie politique aux ouvriers imprimeurs, pour les convaincre qu’ils serviront mieux la patrie en regagnant l’atelier qu’en chantant des hymnes patriotiques dans la rue[2] ; il blâme les cérémonies expiatoires faites en l’honneur des officiers conspirateurs de la restauration[3]. Aux premiers et timides essais tentés par quelques théoriciens pour faire passer l’égalité des biens naturels à la faveur de l’égalité des droits politiques, il répond par cette interrogation hautaine : « Si quelqu’un voit ici une révolution non pas politique, mais sociale, qu’il le dise[4]. » En un mot, le gouvernement naissant a en lui un serviteur dont le ton est parfois un peu rogue, mais dont le cœur est dévoué. Sur un seul point, il le désapprouve faute de le comprendre : il n’apprécie pas cette inspiration d’une générosité royale qui, au milieu d’une capitale en feu et avec une armée encore toute débandée, brava l’irritation populaire pour sauver la vie d’un ennemi vaincu. Carrel, comme la garde nationale de Paris, demanda la tête de M. de Polignac : « il ne voulait point, disait-il, qu’on fît la révolution niaise, sous prétexte de la garder pure. » Ainsi la soif de la vengeance, nourrie dans son cœur pendant quinze ans, n’était pas assouvie par la victoire, et Némésis ne lâchait pas sa proie. Heureusement d’autres conseils prévalurent, et le verdict de la chambre des pairs prononça dix-huit ans avant M. de Lamartine, et devant une foule plus irritée, l’abolition de la peine de mort en matière politique.

Ce ne fut point là pourtant ce qui brouilla Armand Carrel avec le

  1. Tome Ier, page 256.
  2. Ibid., page 174.
  3. Ibid., page 240.
  4. Ibid., page 256.