Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/687

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mandé quels étaient mes projets, pourquoi, s’ils étaient innocens, je craignais que vous n’y missiez obstacle. Je vous répondrai donc que je redoutais en effet votre opposition et celle de ma tante. Pourquoi la redoutais-je? Parce que je croyais que vous me portiez quelque intérêt. Mon intention était, et j’y persiste avec plus de force que jamais, de me retirer dans un couvent après que j’aurais rendu à Paolo le seul service qu’il soit en mon pouvoir de lui rendre, c’est-à-dire après que je lui aurais apporté sa part d’héritage.

— Religieuse ! s’écria Mme Stella. — Rachel fit un mouvement de tête affirmatif. Le silence qui suivit cette muette réponse ne fut interrompu, au bout de quelques instans, que par cette question de Pietro : — Le refus de Paolo est donc un malheur que tu ne peux supporter! — Rachel tressaillit, mais par un suprême effort elle réussit à garder son calme. — Voilà précisément ce que je craignais, répondit-elle. Vous attribuez ma résolution au refus de Paolo et au chagrin que j’en ai ressenti! Vous êtes dans l’erreur, c’est tout ce que je puis vous dire. Et maintenant laissez-moi vous prier de m’épargner toute remontrance, toute discussion à ce sujet. Mon parti est pris, bien pris; le couvent est le seul asile dans lequel je puisse trouver le calme et un certain degré de bonheur. Il y a longtemps que je le sais et que je soupire après ma retraite.

— Mais, Rachel, dit Mme Stella, tu ne songeais pas à te faire religieuse avant de connaître les intentions de Paolo?

— Qu’en savez-vous? répondit Rachel en rougissant. Qu’il vous suffise d’apprendre que ma résolution ne m’a point été dictée, comme Pietro le disait tout à l’heure, par le regret de ne pas épouser Paolo. Vous refuserez peut-être de croire à ma parole, et pourtant c’est la vérité; mais je n’en dirai pas davantage.

Pietro proposa, comme c’est la coutume en pareil cas, de mettre un certain intervalle entre la résolution et l’exécution. — Il y a longtemps que mon parti est pris, répliqua Rachel, et la réflexion n’y peut rien. — Dans tout cet entretien, elle se montra si calme, si maîtresse d’elle-même, si différente de ce qu’elle avait été la veille, que Pietro et Mme Stella se sentirent intimidés et finirent par se rendre. Pietro se chargea d’aplanir toutes les difficultés, d’obtenir le consentement du tribunal de tutelle, car Rachel était encore mineure, de traiter et de conclure avec les autorités temporelles et ecclésiastiques. L’on convint de tout, et le départ fut fixé à quelques jours de là, aussitôt que les formalités nécessaires seraient remplies.

Rachel avait cruellement souffert pendant ces débats. Lorsque Pietro l’eut quittée, elle retomba dans un désespoir plus violent que celui de la veille, et cette fois encore l’excès de la douleur amena la fièvre. Cette seconde attaque fui plus forte que la première, et il s’y mêla un peu de délire. Mme Stella voulait passer la nuit entière