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trois chefs et pas une tête : — La Feuillade, le duc d’Orléans et le maréchal de Marsin. Le duc d’Orléans ne sut pas empêcher la jonction du prince Eugène et de Victor-Amédée, qui, dès le commencement du siège, était sorti de la ville pour tenir la campagne et aller à la rencontre des alliés. Quand l’armée coalisée fut réunie au nombre de trente-quatre mille hommes, le maréchal de Marsin, qui avait reçu un plein pouvoir secret pour décider de la direction des opérations, ne sut qu’attendre l’assaut dans les tranchées et mourir tristement. Le choc fut désastreux pour l’armée française, qui fut forcée d’abandonner le siège, et dont la retraite précipitée ne s’arrêta qu’à Pignerol. La victoire de Turin retentit en Europe, et en peu de temps le Piémont fut reconquis. Ce qui restait de notre armée en Lombardie n’eut plus qu’à regagner la France en échappant à un grand péril ; la guerre n’eut plus rien de saillant en Italie dès ce moment. Tandis que le maréchal Daun allait conquérir Naples pour l’Autriche, Victor-Amédée tentait sans succès une invasion en Provence avec le reste des alliés. Les grandes luttes avaient cessé en Italie et ne recommencèrent plus jusqu’à la paix générale qui vint distribuer les dépouilles de la guerre. Si à la dernière heure Victor-Amédée avait reçu un puissant et efficace secours qui l’avait aidé à frapper le coup de Turin, jusqu’à ce moment décisif il avait presque seul tenu tête aux Français, et il avait singulièrement servi la cause de la coalition. « Tout ce que je dois dire, écrivait sir Richard Hill, se réduit à ceci : que les impériaux, en cinq campagnes, n’ont point été capables d’obtenir un succès en Lombardie ; que les impériaux auraient été contraints déjà depuis deux ans de quitter l’Italie, si la déclaration du duc n’avait pas attiré contre le Piémont une grande partie de la furie et des forces de l’ennemi ; que son altesse royale a résisté pendant deux ans avec autant de constance que de valeur à tous les efforts des Français. » L’envoyé anglais parlait ainsi en 1705, entre le siège de Verrue et la victoire de Turin, c’est-à-dire au moment le plus grave pour les affaires de la coalition en Italie. Ce seul fait mettait en relief le rôle du duc de Savoie.

On sait comment finit la guerre de la succession d’Espagne. La France se vit en des extrémités où elle était prête à subir toutes les conditions. Louis XIV renonçait à l’Espagne pour son petit-fils ; il offrait à la Hollande une ceinture de places fortes. « Je me soumets à la volonté divine, écrivait le vieux roi à un de ses agens, puisque les maux qui affligent mon règne ne me permettent plus de douter que la Providence ne demande de moi le sacrifice de ce qui m’est le plus cher. » On ne voulut pas même de cette soumission dans les conférences de Gertruydemberg. La France se releva par un élan de fierté et un héroïsme qui lui permirent d’arriver à une paix moins accablante. Vingt fois la fortune changea de camp, et les intérêts se